Témoignages : raconte-moi les Paralympiques…
À quelques semaines du début des Jeux Paralympiques de Rio (7-18 septembre), la nageuse Béatrice Hess (5 participations aux Jeux de 1984 à 2004), le pongiste Christophe Durand (4 participations de 1996 à 2008) et le tireur Tanguy de la Forest (4 participations de 2004 à 2016), trois anciens et un actuel membres de l’équipe de France Paralympique, racontent leurs Jeux.
Béatrice HESS
« J’ai connu les Jeux antiques et modernes »
Béatrice Hess en bref
Surnommée la torpille, l’Alsacienne, éloignée des Jeux de Barcelone pour cause de maternité, a totalisé 26 médailles paralympiques dont 20 en or (5 argent et 1 bronze). Béatrice Hess (cat. S4) a remporté six médailles d’or à Atlanta et sept à Sydney, son apogée comme en témoignent les neuf records du monde qu’elle établit lors de ces Jeux. Elle a aussi décroché 7 titres mondiaux et 18 européens. Officier puis Commandeur de la Légion d’honneur, Béatrice Hess, 54 ans, est marraine et membre d’honneur de l’Association européenne contre les leucodystrophies (ELA).
Lors de ma première participation en 1984, la notion de haut-niveau était très difficile à comprendre pour le grand public en raison des 31 classes de handicap existantes (contre douzeaujourd’hui) et de certaines courses. Et nous avons disputé les Jeux Paralympiques à New York quand les Jeux Olympiques avaient eu lieu à Los Angeles.
À Séoul (1988), les Jeux Paralympiques furent organisés sur le même site que les JO. Un premier tournant. J’ai nagé dans la même ligne d’eau que Matt Biondi, la star de la natation mondiale de l’époque. Nous étions hébergés dans le même village olympique, accessible. Logés dans deux grandes tours avec seulement deux ascenseurs, nous utilisions la pente située sur le côté des tours pour descendre des chambres.
À Atlanta, en 1996, les Américains ont organisé les Jeux Paralympiques car ils y étaient obligés. Nous étions sur les restes des JO. Il était impossible de rentrer se reposer au village entre les séries et les finales de l’après-midi. Le midi, nous mangions des sandwiches préparés le matin.
Un nouveau tournant s’est produit à Sydney. Le frémissement constaté à Barcelone en 1992 a vraiment connu son prolongement lors de ces Jeux de 2000. En Australie, les sportifs étaient placés au centre des Jeux. Le village était fonctionnel, les bénévoles étaient les mêmes pour les deux événements.
Médiatiquement, Sydney a également marqué les esprits. Avec une chaîne télé locale diffusant en permanence les compétitions, nous étions vus dans de nombreux pays différents. Je n’ai jamais donné autant d’interviews, surtout à des médias étrangers. Les journalistes français s’y sont mis aussi. En 1988, il n’y avait eu qu’une heure d’émission, diffusée quinze jours après les Jeux de Séoul, un samedi à une heure où personne ne regarde la télé.
Il y avait aussi une ferveur jamais vue dans les salles. L’ambiance à la piscine était fabuleuse. Mes derniers Jeux, en 2004, à Athènes, ont confirmé l’idée que l’athlète était au coeur de l’événement. Mais le public n’a pas répondu présent. Mais, comme ce n’était pas loin de la France, les supporters et les médias français étaient en nombre.
Christophe DURAND
« Cité au Journal de TF1 en 2008 »
Christophe Durand en bref
Le pongiste lyonnais de 43 ans, victime d’une tumeur infantile à la moëlle épinière, a disputé les Jeux Paralympiques d’Atlanta, de Sydney, d’Athènes et de Pékin, avant de devenir entraîneur de l’équipe de France. C’est avec cette casquette qu’il était à Londres et qu’il sera à Rio. Un atout pour les joueurs actuels puisque Christophe Durandpèse six médailles paralympiques en classe 5. Trois en simple : deux en or (2000, 2008) et une en bronze (2004) et autant par équipe : 1 argent (1996) et 2 en bronze (2000, 2004).
La magie des Jeux, ce n’est pas une légende. Mais l’évolution entre Séoul et Barcelone est identique à celle qui a existé entre Atlanta et Pékin, puis Londres. Les Jeux Paralympiques de Sydney étaient vraiment béton en matière d’organisation. Il y avait deux salles d’échauffement, une chambre d’appel. C’était une première pour nous. Cela donnait une dimension nouvelle et fabuleuse à la compétition.
Cela a été renforcé à Athènes avec une salle d’échauffement open puis une salle d’entraînement réservée à ceux qui jouaient 45 minutes après et une chambre d’appel. Ces conditions exceptionnelles de préparation sont importantes pour les sportifs. Cela n’avait rien à voir avec ce que l’on a vécu à Atlanta où la salle était pourrie et où rien n’était fait pour les sportifs. En 1996, nous devions guider nos chauffeurs, des militaires, pour aller du village à la salle.
Je garde un souvenir fort de Pékin. Huit ans après, je redeviens champion paralympique en simple dans une salle de 6 000 places remplie en permanence par un public connaisseur. L’ambiance y était très belle. Le protocole des remises des récompenses était encore plus millimétré qu’à Sydney.
Médiatiquement, il y a encore eu un vrai progrès. Le soir de ma victoire, j’ai été cité au Journal Télévisé de TF1 avec les images du plus beau point de la finale. Beaucoup de proches et amis ont appris ma victoire ainsi. Les Jeux Paralympiques de 2008 ont également marqué un tournant sportif puisque seuls les premiers de poule étaient qualifiés pour la suite de la compétition. La pression aux Jeux est déjà forte, mais c’était donc très accentué. Les ténors devaient donc être tout de suite à leur meilleur niveau.
À Londres en 2012, j’ai été époustouflé par le spectacle proposé parallèlement aux épreuves : témoins, la présence de Coldplay et Rihanna lors des cérémonies. Un aspect évidemment renforcé par la diffusion permanente des épreuves sur Channel 4. Il y a un avant et un après Londres 2012.
Tanguy DE LA FOREST
« Mes émotions les plus fortes »
Tanguy de la Forest en bref Tireur sportif de 38 ans, Tanguy de la Forest concourt en carabine 10 mètres en classe SH2C. Médaillé de bronze et d’argent aux championnats du monde 2014 et 2006, il a aussi remporté deux coupes du mondeen 2015 et 2016. 5e aux Jeux de Londres en 2012, il a également participé aux Jeux d’Athènes et de Pékin. À 38 ans, il est en mesure de pouvoir accrocher un podium à Rio, la maturité est en effet un peu plus tardive dans cette discipline.
Quand on entre dans le monde paralympique, tout est démesuré. C’est évidemment aux Jeux de Londres que j’ai vécu mes émotions les plus fortes. En une heure et demie, je suis passé d’un bonheur intense à une immense déception. D’abord parce que j’ai égalé le record du monde pour terminer à la première place de la phase qualificative. Puis parce que lors de l’épreuve finale du tir à 10 m à la carabine dans la classe SH2C, j’ai chuté à la cinquième place. Ces sentiments ont pris une dimension encore plus grande car je tirais devant mes proches. C’est extraordinaire. J’espère que nous aurons les Jeux en 2024 pour qu’une grande majorité des membres de l’équipe de France paralympique d’alors vivent cela. Le protocole est incomparable avec celui des championnats du monde ou d’Europe, aux Jeux, tout est millimétré.
Les Jeux de Londres étaient mes troisièmes. J’ai donc ouvert mon livre paralympique en 2004, à Athènes. Je me souviens combien je fus impressionné par le village et la taille du réfectoire. C’était absolument incroyable. Tout était parfaitement accessible et il y avait une belle ambiance. Il est fort et beau de voir toutes ces nations, toutes ces cultures réunies sur un même lieu. Il y a une telle diversité, c’est vraiment le symbole du paralympisme.
Lors des trois Jeux auxquels j’ai pris part, j’ai eu la chance de connaître trois publics très différents. En Grèce en 2004, il n’y avait pas grand monde. Cela était assez décevant et frustrant. En Chine, en 2008, le public semblait être contraint de venir. Il y avait donc du monde mais peu d’ambiance. Et à Londres, ce fut le show ! Avec des tribunes pleines en permanence et une ambiance incroyable. Médiatiquement aussi, ce fut le cas. Quel suivi et quel retour ! C’est important et décisif dans notre pratique. La médiatisation nous permet d’être vus, d’être sponsorisés ou accompagnés et donc de s’entraîner dans de meilleures conditions. Cette année, pourla première fois, je suis sponsorisé pour préparer les Jeux de Rio. //. J. Soyer