Expertise la classification au coeur de la pratique

 

Les classes de handicap sont incontournables dans le mouvement paralympique, tout comme le sont les catégories de poids en boxe, au judo ou au karaté, mais à l’aide de critères objectifs et chiffrés. Ceux permettant de déterminer la classe d’un compétiteur handisport reposent, eux, sur des données médicales et techniques. La classe de handicap étant indissociable de la performance, et notamment dans l’optique des Jeux de 2024 à Paris, la Fédération Française Handisport a fait de cette problématique une priorité. Dossier réalisé par Julien Soyer 

Les origines de la classification au sein du mouvement handisport sont exclusivement médicales. Des médecins, kinésithérapeutes tranchaient sur l’éligibilité d’un sportif souhaitant pratiquer sa discipline en handisport. « Il y avait cinq groupes : amputés, para-polios, IMC, déficients visuels et les autres », détaille Jean-Michel Westelynck, ancien classificateur international natation et en charge de la commission classification à la FFH. « Mais les personnes atteintes de diabète, de problèmes cardiaques et les personnes atteintes de pathologies viscérales n’entrent pas dans la population éligible. » La vérification de cette éligibilité constitue la première phase de la classification. 

Quand la technique s’invite

Si les classificateurs médicaux continuent d’avoir ce rôle, un autre facteur, dans certains sports, a pris de l’importance au début des années 90 : l’aspect technique. Le classificateur technique peut confirmer ou modifier la classe de handicap définie par le corps médical. Excepté pour les déficients visuels et auditifs, les classificateurs techniques, sont associés aux classificateurs médicaux pour « évaluer les conséquences de la pathologie sur la pratique sportive », développe Jean-Michel Westelynck. « Exemple : on attache peu d’importance aux déficiences des jambes des basketteurs en fauteuil. L’important est le maniement du fauteuil et la sphère dans laquelle ils évoluent techniquement pour attraper un ballon, se pencher… » Actuellement, au niveau international, des groupes de recherche travaillent sur l’évolution de la classification et notamment sur la partie technique, afin d’affiner le système et de gagner en objectivité : un geste est-il mal exécuté à cause du handicap ou d’un déficit technique (manque d’entraînement ou débutant…) ? « L’idée est de mettre en place des outils scientifiques afin d’objectiver l’analyse technique. Ils ont, par exemple, en natation, calculé toutes les résistances provoquées par les déformations du corps » explique le référent de la FFH. Il est donc important que le sportif testé possède déjà des acquis techniques. 

La classif’ : porte d’entrée d’une carrière

La classification est le point de départ d’une carrière sportive. « On parle de personnes qui ont eu un grave accident de la vie ou une maladie qui a engendré des déficiences physiques et qui font aussi du sport de haut niveau. Ces deux facettes sont indissociables de leur identité », pose Vincent Ferring, kiné fédéral à la FFH. « Ne considérer que la partie sport, et ne plus parler de handicap est une erreur idéologique et intellectuelle fondamentale. Cette construction mentale ne tient pas et l’inverse est vrai aussi. » En fonction de sa classe, un compétiteur peut compter ou non parmi les fleurons du pays. « La démarche de classification entre entièrement dans le processus de construction d’un sportif de haut niveau », rappelle le nouveau président de la FFH, Frédéric Delpy, ancien champion paralympique de natation. En effet, il est primordial d’être rapidement fixé sur le sort des nouveaux athlètes handisport pour limiter tout sentiment d’injustice. « Un novice prometteur ne doit surtout pas se projeter en fonction des performances ou du niveau des meilleurs mondiaux de sa classe supposée. Il doit attendre l’officialisation de sa classification », explique Jean-Michel Westelynck. Le sportif et son entourage ont souvent une perception de sa classe différente de la réalité. « Mais comme pour une décision de justice, il convient, même si l’appel est possible, de respecter les décisions prises par des panels de classificateurs formés spécifiquement », souligne Vincent Ferring. 

Les jeunes doivent donc participer en amont à des épreuves internationales pour être classés. « Cela évite des traitements dans l’urgence et permet de donner le temps aux classificateurs de revoir le sportif si besoin. » Être revu n’est pas une injustice. Juste un moyen d’éviter des erreurs. Un sportif peut aussi être vu plusieurs fois dans sa carrière si son état physique subit des modifications (évolution, interventions chirurgicales…). 

Former des classificateurs IPC

Les pools des classificateurs doivent être étoffés en France. « Il faut répondre aux besoins en s’adaptant au nombre de pratiquants dans chaque sport en ayant un volume suffisant de classificateurs formés selon les règles de l’IPC », prévient Vincent Ferring. L’instance milite pour une uniformisation de la classification selon les disciplines. « Pour que chaque pays ne fasse pas sa soupe », reprend-il. La commission classification de la FFH prévoit de proposer une formation en fonction des disciplines. « Elle existe déjà en athlétisme et en basket-fauteuil », précise Jean-Michel Westelynck. 

Des experts nationaux permettront d’éviter de rater le coche avec certains jeunes. « Nous devons prendre ce dossier à bras-le-corps », martèle Frédéric Delpy. « Être mieux représentés au niveau des instances internationales pour être en phase avec les logiques de l’IPC. » L’apparition des nouvelles pathologies, les changements de politiques de l’instance paralympique internationale, influencés par les risques de voir disparaître du paysage international certaines familles de handicap, et les regroupements de classes, parfois voulus par l’IPC, bougent les lignes. « Avoir un représentant dans chacune des commissions classifications des sports dont nous aurons la délégation aux Jeux est un objectif », affirme le président de la FFH. Vincent Ferring en est pour l’athlétisme. Séverine Crampe, classificatrice de niveau 4 en rugby fauteuil (le plus élevé dans ce sport), est allée, fin août, en Nouvelle-Zélande pour officier au championnat d’Océanie. Le pongiste Philippe Durieux, lui, vient de valider son niveau 1. Des exemples à suivre. La présence de classificateurs français au niveau international densifie le réseau de formateurs potentiels en France et permet d’être beaucoup plus pointus et tranchants pour le traitement de dossiers border-line. « Il n’y a jamais de problème pour un sportif situé au milieu de sa classe. Mais lorsqu’un joueur se situe entre deux catégories, il convient de bien cibler les arguments déterminants », reprend Jean-Michel Westelynck. Le classificateur national peut aussi avoir un rôle de « conseiller juridique pour le passage à l’échelon international », selon Vincent Ferring. 

Enjeux sportifs et médiatiques

Les enjeux de la classification sont multiples. Une catégorie de handicap détermine la tonalité de la carrière d’un concurrent : loisir, compétition de niveau national ou de niveau international. L’équité garantit aussi l’intérêt sportif et médiatique. Il s’agit de trouver le bon compromis pour être lisible auprès du grand public, crédible et juste. « Multiplier les catégories revient à multiplier les titres et donc à décrédibiliser la performance », reconnaît Jean-Michel Westelynck. « Mais personne ne remet en cause le système de catégories de poids en boxe ou d’âge dans de nombreux sports. » Le regroupement de classes n’est pas sans risque. Notamment celui de voir disparaître des personnes en situation de grand handicap au niveau international, voire du paysage sportif. « Parfois, une personne ne se projette que dans la pratique handisport. Se savoir inéligible ou dans l’incapacité de participer un jour aux Jeux peut l’inciter à arrêter le sport », explique Vincent Ferring. « Aujourd’hui, l’IPC favorise le retour des personnes en situation de grand handicap. En natation, ils ont proposé des courses internationales pour ce public », souligne Jean-Michel Westelynck. « Les instances sont conscientes que ces sportifs aux moyens physiques plus limités proposent un véritable spectacle. » 

Afin d’apporter un éclairage réglementaire sur les classes de handicap de manière ludique, la retransmission des Jeux Paralympiques de Rio sur France Télévisions fut accompagnée de petits spots de vulgarisation appelés “Paralymquoi”. Sur une idée originale de la Fédération Française Handisport, ces courtes séquences d’animation (1’30”) ont été produites par 2P2L. 

L’essentiel, est de bien expliquer les raisons pour lesquelles des sportifs n’ayant pas la même pathologie se retrouvent dans une même catégorie. Tout en faisant admettre que l’égalité parfaite n’existe pas au sein d’une même classe. « On ne reproche pas à Usain Bolt d’être plus grand que ses adversaires ! », pointe Vincent Ferring. // J. Soyer 

Retrouvez les vidéos “Paralymquoi” sur vimeo.com/ffhandisport

 ​La classification est le point de départ d’une carrière sportive. 

Avis d’expert 

Le chemin de classification idéal​

Par Jean-Michel Westelynck. 

« La préoccupation principale d’un nouveau compétiteur handisport doit être d’obtenir une première classification. Celle-ci peut se dérouler au niveau local, national ou international qui reste la dernière recevable. Dans une logique de proximité, un club qui accueille un sportif FFH va prendre contact avec son comité départemental ou régional qui lui expliquera les principes et l’orienterera vers le classificateur référent de la discipline. Celui-ci va lui expliciter la démarche et lui communiquer les différents éléments du dossier. Très souvent, c’est lors d’une compétition nationale que se déroulera la classification officielle avec les personnes référentes. Il en sera de même pour l’échelon international où le sportif devra être présenté par les instances fédérales (FFH) ou paralympiques (CPSF). » 

Pratique

Comment devenir classificateur ? 

On ne s’improvise pas classificateur. L’IPC impose d’avoir un profil médical (médecin rééducateur, ergothérapeute, kiné) ou technique (ancien sportif de haut niveau ou entraîneur). Il demande souvent aussi d’avoir une expérience nationale et il est indispensable de maîtriser la langue de Shakespeare. 

Les candidats suivent une formation théorique et pratique, différente en fonction des disciplines.  En natation, par exemple, cette formation s’étend sur une semaine entière. La théorie dure trois ou quatre jours et la pratique autant de temps environ , détaille Jean-Michel Westelynck.
À l’issue de ces formations, les classificateurs agréés IPC valident ou non celle-ci.  Un classificateur est acteur du mouvement et des différentes épreuves tels des Championnats du Monde ou les Jeux Paralympiques. D’en assurer leur équité et leur éthique. Cette fonction ouvre la possibilité de voyager.  Il existe aussi des niveaux de compétence (1 à 4 en général). Un classificateur peut devenir chef classificateur ou coordinateur. Un classificateur international devient, de fait, formateur dans son pays. 

Pour en savoir plus, contactez : jm.westelynck@handisport.org 



 

Entretien avec Jean-Michel WESTELYNCK

Directeur sportif de la natation jusqu’en octobre dernier, Jean-Michel Westelynck a été classificateur international dans cette discipline. Parallèlement, il pilote la commission classification pour la Fédération Française Handisport. 

Jean-Michel, pourquoi avoir choisi cette voie ?

Kiné de profession, j’ai toujours été très intéressé par ces questions de capacités du corps humain. Les classificateurs ont une vraie responsabilité. De nos décisions dépendent l’éthique et l’équité au sein de la discipline. Je me souviens de mon passage à l’international, durant les championnats d’Europe 1993, organisés à Perpignan. J’étais encore classificateur stagiaire. La France avait déposé une protestation pour contester la classe d’un de ses nageurs. La classificatrice internationale avait sollicité mon avis, à titre informatif uniquement. Je n’avais pas soutenu la demande de la France car celle-ci était injustifiée. Mon objectivité a été déterminante dans le choix des classificateurs internationaux de l’époque pour valider ma formation. Je me suis enrichi à faire de la classif’. 

Justement, avez-vous des anecdotes ?

À mes débuts, un nageur para-polio en fauteuil, incapable de se tenir debout, passe la classification. Quelques heures après, je croise ce même nageur dans les toilettes. Il urinait debout, sans se tenir, avec son fauteuil placé deux mètres derrière lui. Nous l’avons à nouveau convoqué et reclassifié. À la suite de cette anecdote, nous avons compris l’intérêt de regarder les concurrents en dehors du contexte d’une salle de classification. 

Que vous a apporté cette fonction ?

Professionnellement, je me suis montré encore plus rigoureux dans la rédaction de mes bilans. Sportivement, ce rôle m’a permis d’être bien plus efficace comme directeur sportif pour contester une décision. Et pour expliquer certains choix de la commission internationale de classification à mes nageurs.
Ou pour mettre fin à certains débats stériles au sujet de nageurs étrangers soi-disant mal classifiés. Mon regard sur le handicap a changé. J’ai été bluffé par ce que certaines personnes arrivaient à effectuer malgré leurs déficiences. Je suis toujours très surpris par les capacités développées par les doubles amputés supérieurs. Ce qu’ils arrivent à accomplir avec leurs jambes, leur cou et leur mâchoire. La dimension psychologique et humaine est aussi très importante. Pour les sportifs, la classification est une épreuve. Une nouvelle fois, mais selon des critères précis et dans un contexte différent, leur déficience est évaluée. 

Quelles sont les évolutions à venir en matière de classification ?

On ne peut pas se passer de l’analyse médicale mais je pense que l’analyse technique va encore prendre davantage de place. Il sera même idéal d’avoir des classificateurs ayant un regard technique et médical. On se dirige aussi vers un traitement plus scientifique de l’analyse technique pour gagner en objectivité et bien cerner si la réalisation d’un geste technique est moins bonne à cause du handicap ou d’un manque de maîtrise. Néanmoins, les moyens mis en oeuvre ne devront pas être trop coûteux. // J. Soyer