Handisport, répondre à toutes les envies

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Frédéric Guigonis, sociétaire du Lutador Boxing de Nice

Par son approche singulière et ses valeurs de partage, d’ouverture, de convivialité et de solidarité, le mouvement attire un large public. Ils décrochent des titres paralympiques ou pratiquent en loisir, animent et encadrent des sorties en plein air. Ils aiment apporter, à l’abri des projecteurs, leur contribution au bon déroulement d’une compétition ou d’une manifestation… Sportifs, arbitres, moniteurs et entraîneurs ou encore bénévoles ont assouvi, grâce à leur implication dans le mouvement, leurs envies. Pour la plupart d’entre eux, de nouvelles attentes et de nouveaux objectifs sont nés. Dossier réalisé par Julien Soyer

Repousser ses limites, se dépasser… De nombreux licenciés de la FFH sont entrés dans le mouvement pour ces raisons. Mais il y a éventail incalculable d’envies.

« Après mon accident de la circulation, les médecins m’ont dit que je ne marcherai plus », raconte Véronique Gaudillère, qui a eu la jambe droite écrasée et amputée sous le genou gauche. « Comme je suis têtue, je voulais remarcher et prouver que je pouvais suivre une scolarité classique, quand la Maison départementale des personnes handicapées voulait me placer dans un centre spécialisé. J’ai compris que cela passerait par le sport. » Après la natation, elle s’est mise au fauteuil tout terrain, à l’accrobranche ou encore au kayak.

Laisser son handicap au vestiaire

Bénévole et élue au Comité départemental handisport de l’Isère, Véronique, jeune cinquantenaire, a assouvi via ces pratiques « plein air » d’autres envies. « À commencer par ma soif d’inclusion et de mixité. » Ce raid en Tunisie, ou les remontées de la Dordogne et de l’Ain en kayak avec les valides, lui ont permis de découvrir des endroits inaccessibles à pieds. « Ça répond aussi à ma volonté de sortir de l’ordinaire. » Dans les airs, via du parapente, comme dans l’eau ou au coeur des fonds marins, les pratiquants apprécient de laisser leur handicap au vestiaire ou sur les pontons. De l’oublier complètement tant ils retrouvent de la mobilité. C’est l’un des atouts majeurs de l’hippothérapie. Julien Leroux, ancien militaire, blessé en service et tétraplégique depuis 2011, en atteste. « Le cheval est le miroir de nos émotions », pose celui qui est devenu gérant du centre équestre Les Complices, à Moirans (Isère). « La kiné à cheval permet de faire tomber des barrières et de lever des appréhensions. » Emilie Dessommes, kiné de formation et hippothérapeute, installée à Hauterives, intervient dans ce centre équestre, après plusieurs années passées au centre de Kerpape (Morbihan). « Cette forme de soins permet aux patients de faire travailler des muscles différents. Le mouvement du cheval leur redonne l’impression de marcher. » Emilie, à travers cette spécialisation, concilie ses passions pour l’équitation et le soin à la personne. Elle se nourrit de ses patients qui parviennent à développer de nouvelles aptitudes, à retrouver confiance en eux. Au point ensuite de s’inscrire en équitation ou dans une autre activité physique. « L’activité provoque une prise de conscience, en termes d’équilibre, de capacités individuelles », se réjouit-elle.

"L’intérêt n’est pas seulement de répondre aux envies, mais d’en générer de nouvelles."

L’équilibre, il en a aussi été question pour Frédéric Guigonis, 41 ans et paraplégique depuis une double décennie. Quand un accident de moto le cloue dans un fauteuil, il commençait à prendre place dans le paysage local de la boxe française valide. À sa sortie de centre de rééducation, il n’est pas convaincu par les différents sports traditionnels. Il reprend alors la boxe dans un club valide, sans réelle structure. « Ce n’était pas simple. » Un passage en handbike et quelques années plus tard, Frédéric Guigonis croise Michel Greco, cofondateur d’un club de boxe ouvert aux personnes en situation de handicap. « Je m’y entraîne depuis six ans », raconte-t-il. « J’ai trouvé le sport où je m’épanouis. Cela me sert aussi pour les transferts dans ma voiture, par exemple. Au-delà de l’aspect ludique, le Lutador Boxing de Nice (club FFH) m’a permis de m’entraîner avec d’autres personnes en fauteuil. » Et comme son passé joue pour lui, il monte même sur le ring contre des valides, ponctuellement installés dans un fauteuil. « Cela me permet de progresser plus vite. »

Ouvrir des horizons en toute sécurité

S’ouvrir le champ des possibles dans le plus strict respect des règles de sécurité est une condition essentielle pour bon nombre de licenciés FFH. Barbara Meyer, Directrice sportive Développé couché et musculation, en atteste. « Les personnes intéressées font appel à notre expertise pour pratiquer en confiance. » Ce désir anime aussi les bénévoles et les encadrants. « Quel plaisir de rendre heureux des personnes en situation de handicap qui atteignent des sommets magnifiques, dévalent des pentes de ski sensationnelles ou franchissent des obstacles en FTT », s’enthousiasme Gilbert Michel. Ce retraité, installé à Chambéry, a découvert le mouvement par hasard, en 2009 lors des premières journées handinautiques organisées par le Comité Handisport de Savoie. Rapidement à l’aise avec un public dont il découvrait les spécificités, il s’est complètement investi. « J’ai passé différents diplômes fédéraux pour accompagner en ski, en kayak, en randonnées dans les montagnes… Des contextes où la maîtrise de la discipline et du handicap s’avèrent être indispensables. » Gilbert Michel mesure bien l’importance « d’apporter l’aide ou l’appui nécessaires, sans jamais tomber dans l’assistanat. »


La FFH développe en permanence, par son expertise, des solutions appropriées à un public singulier. Mickaël Schartier, référent national du foot mal marchant, a frappé à la porte du club Handisport Lyonnais quand son fils Mathéo a vu les portes des clubs de foot se fermer tour à tour, alors qu’il avait 8 ans. « Il a fait un AVC jeune mais son handicap est assez léger », développe Mickaël Schartier. « Il pouvait presque jouer en valide mais il n’était pas accepté. Le foot à 5 n’a longtemps existé qu’en adulte. Il fallait trouver une solution à ces jeunes qui se trouvaient à la porte de tous les systèmes. » Aujourd’hui, une convention entre la FFF et la FFH est nouée. Elle devrait favoriser la mise en place de compétitions sur le territoire national. Le partage d’expérience permet d’adapter le matériel, de former aux bonnes pratiques bénévoles et encadrants. Et donc de répondre aux diverses attentes des personnes en situation de handicap. James Olivier, formateur et professeur de handifitness, a créé sa propre salle de sports, à Nice. Il accueille des personnes en situation de handicap et des personnes valides. Il propose des cours mixtes ou spécifiques. « C’est rassurant parce qu’il adapte ses séances et sait bien évaluer nos capacités », développe Morgane Mortemans, 35 ans, IMC comme Olivier James. « L’entraide entre les adhérents, la convivialité, une meilleure maîtrise de soi et le gain d’autonomie au quotidien » comptent parmi les nombreux avantages recensés par Morgane. « Je prends désormais aisément les transports en commun. »

Un vent de liberté qui donne souvent un nouvel élan et favorise la sociabilisation. Briser l’isolement est une motivation qui vaut tant pour les sportifs que pour les bénévoles. Les activités de plein air se marient bien aux loisirs en famille. À l’image du parapente, proposé par le club handisport de Valence qui réunit 14 activités différentes. « En duo, il n’y a aucune limite liée aux pathologies. C’est très important de permettre aux familles de partager de tels moments », explique Karine Charat, présidente du club, partenaire des Tichodromes, un club de parapente local. « Cela resserre les liens et gomme d’éventuelles frustrations internes. » Bénévoles, formés et encadrés par un médecin, et proches n’hésitent pas « à donner de leur personne » pour favoriser l’accès à la piste de décollage des personnes en situation de handicap.

Les bénévoles donnent un autre sens à leur pratique

Beaucoup de bénévoles entrent dans le mouvement par hasard. « Ils sont souvent animés par l’envie d’aider ou parce que le sport pour tous leur parle », glisse Romain Didio, coordinateur de la ligue Auvergne Rhône Alpes. « Très vite, ils reviennent pour voir des amis et par plaisir. » Certains, comme les guides, donnent aussi un autre sens à leur pratique. Ils apportent une déclinaison collective à une pratique généralement individuelle. Michel Guenin, médecin de la commission plongée subaquatique ajoute : « Les plongeurs sont des passionnés, ils adorent partager cette passion avec un public souvent plus réceptif et assidu. » La plongée est encore un lieu de pratique mixte par excellence puisque la majorité des moniteurs sont valides. Et depuis 2010, le Code du sport a évolué, ouvrant des perspectives nouvelles de progression pour le public en situation de handicap. « Ce sont les compétences mutualisées du binôme plongeur-formateur qui rendent la plongée accessible », détaille Jean-Luc Bertoncello, directeur sportif de la discipline à la FFH. « Tout amateur de plus de huit ans ayant un certificat médical est bienvenu. » Là encore, une structure handisport permet souvent davantage d’adaptations aux contraintes de chacun. « Certaines personnes en situation de handicap peinent, par exemple, à se changer en public », assure Michel Guenin. « Commencer par le faire dans un milieu protégé permet de gagner en estime de soi. Aussi, trouver des combinaisons répondant aux différents types de pathologie n’est pas simple or quand le matériel n’est pas adapté, c’est vite la galère. » La plongée subaquatique illustre parfaitement la philosophie de Habd-Eddine Sebiane. Joueur de foot-fauteuil électrique et président de l’association Upsilon, basée à Châtenay-Malabry. « L’humain a souvent des envies inadaptées à ses aptitudes. Alors il trouve des solutions pour pratiquer. Des aides humaines et/ou matérielles qui vont lui permettre de franchir l’obstacle. »


Initiative

Un partenariat efficient dans le maine-et-loire

« Il y a trois jours, je n’aurais jamais pensé descendre une piste bleue tout seul. » Vincent est l’un des six adolescents de l’Institut Montéclair d’Angers, à être parti au séjour ski, organisé à Sollières, en Savoie. L’initiative traduit bien le chemin parcouru depuis 2012, date des premières interventions du Comité Handisport du Maine-et-Loire à Montéclair. « L’institut propose un cursus pédagogique et scolaire, un apprentissage professionnel », détaille Emmanuel Poutrel, président du CDH 49. « Mais il n’y avait aucune activité sportive et physique. » Pour lever les craintes initiales, Benjamin Huet et Aude Legeay, chargés de développement pour le CDH, ont misé sur des activités ludiques et spécifiques (showdown, goalball…). « Cela nous a permis de faire comprendre l’intérêt du sport et d’installer un climat de confiance », développe Benjamin Huet. Aujourd’hui, le CDH anime des séances pour 18 inscrits et doit freiner les ardeurs. D’autres sports, comme le Pilate, sont pratiqués. « On est multisports. On propose, on suit des demandes quand cela est possible et on adapte si besoin », ajoute Benjamin Huet. Cette entrée a permis au comité d’affirmer ses positions, de se faire connaître et reconnaître. Une fois indépendants, ils sont nombreux à lancer des sections handisports dans les clubs de proximité ou à s’y impliquer. « Notre premier objectif est de susciter l’envie et le besoin de pratiquer une activité physique », rappelle Emmanuel Poutrel. « Ensuite, nous les orientons pour satisfaire leurs attentes. » L’objectif est atteint.

Infos : cdhandisport49.com

Avis d’experts

Le label handisport-santé

Le sport santé est très porteur au sein de la Fédération Française Handisport. « Nous sommes entrés au médico-sport santé du Comité National Olympique et Sportif Français », souligne Patricia Vignau, élue en charge du sport-santé pour la FFH. Une première formation, réunissant huit personnes, s’est tenue en décembre 2019. Celle-ci définit comment mettre en place un programme HandiSport-Santé et recense les différentes étapes d’entrée. « Il peut s’agir d’une personne en situation de handicap en quête de prévention, d’autonomie. Il peut être question de pathologie chronique associée, avec ou sans handicap. » Programmes adaptés, modalités d’accueil… L’objectif est d’évaluer la personne afin de lui permettre de pratiquer sans amplifier sa pathologie. « Les tests préconisés pour les personnes valides sont revus avec des adaptations de mesures compatibles avec le public handisport », explique Patricia Vignau. « Nous sommes allés sur le terrain avec du public et nous avons mis en place des tests pour voir comment les adapter et quelles étaient les difficultés rencontrées. » Le PSC1 (prévention et secours civiques 1) est également intégré à ce premier module de formation. Un deuxième module, axé sur les pathologies chroniques, notamment, est programmé pour décembre 2020. « La validation de ces deux modules permettra d’accueillir des personnes dans le cadre du sport sur ordonnance », précise Patricia Vignau. « Toute structure (club, association, comité…) comptant au moins un éducateur formé pourra demander le Label HandiSport-Santé. » Un gage de qualité et de sécurité.

En savoir plus : handisport.org/le-handisport-sante/

Entretien avec habd-eddine sebiane

« Générer de nouvelles envies »

Joueur de foot fauteuil électrique et fondateur de l’association Upsilon, installée à Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine), Habd-Eddine Sebiane, 44 ans, s’appuie sur le sport, moyen de projection sociale, pour susciter des envies.

Pouvez-vous nous préciser la philosophie d’Upsilon ?
Upsilon entend donner sa pleine fonction au sport. Je pratique avec mes pairs, ils ont les mêmes problématiques physiques que moi mais ils font des choses à côté. Il fallait multiplier les profils pour permettre aux plus jeunes et aux enfants de se projeter par le sport. Pour qu’ils puissent s’imaginer un avenir et qu’ils mettent en place leur projet. Avoir rapidement une équipe de foot-fauteuil au plus haut niveau était important en termes de visibilité. Aujourd’hui, nos trois équipes sont inscrites aux différents échelons nationaux. Cela permet de répondre à différentes motivations.

Quel est impact du sport sur les envies ?
L’envie est fondamentale parce que sans, tu ne fais rien. L’intérêt n’est pas seulement de répondre aux envies, mais d’en générer de nouvelles. C’est la véritable évaluation. Cela doit valoir pour tout nouvel adhérent. Une personne arrive pour faire du sport. Elle découvre un nouvel outil. Celui-ci engendre un besoin, et ainsi de suite. Le club fait que les adhérents s’autorisent de nouvelles envies.

Et qu’ils trouvent les moyens de les assouvir…
Exactement. Par exemple, pour les ados et les adultes institutionnalisés, on utilise le RER, qui peut être très utile mais qui suscite des craintes. L’idée est de leur montrer tous les outils compensatoires disponibles pour mener à bien leur trajet. Si l’inclusion est indispensable, parce qu’elle permet de se définir comme humain avant tout, se retrouver aussi entre pairs permet de mesurer tout ce qu’il est possible de réaliser. Devenir acteur de sa propre vie, c’est une tâche qui incombe au sport en coresponsabilité. Parfois, il sera impossible de réaliser quelque chose mais la personne s’en rendra compte par elle-même. Je ne dis jamais « Non, c’est impossible ».

Assouvir ses envies ne passe-t-il pas aussi par l’interaction avec son environnement humain et matériel ?
Oui. Dans le sport handi, on revient au coeur de l’humanité. L’humain est complètement inadapté à son milieu de vie… mais il crée des outils de compensation. Chaque nouvel outil créé génère une incapacité en raison des nouvelles envies qu’il engendre. Il est illusoire de vouloir tout faire seul. L’autonomie, c’est justement le contraire. Être autonome revient à bien savoir gérer ces interdépendances en sachant utiliser les bons leviers humains, techniques, matériels pour réussir ce que l’on entreprend.

L’entraide réciproque est également l’une de vos valeurs…
Je voulais faire du foot et créer des ponts entre les publics marginalisés pour différentes raisons (handicap physique, handicap social…). À chaque fois que j’emmenais des copains comme bénévoles, il se passait quelque chose. J’ai tenté de développer ce type d’association à des clubs mais ils étaient généralement frileux. Le meilleur moyen était donc de créer ma propre structure. Le sport n’est pas assez utilisé comme moyen de projection sociale. Tu ne te définis pas uniquement par tes manques physiques. Tu as des qualités à valoriser. Les sports collectifs développent l’utilité et valorise les associations réciproquement bénéfiques. Chacun peut apporter par son point fort et compenser les difficultés des autres. Les uns et les autres se voient ainsi de manière positive.

// Propos recueillis par Julien Soyer

Plus d’infos : upsilon-cm.com