Philippe Croizon : « Le sport m’a transformé »

Traverser la Manche à la nage, participer au Rallye Dakar, écrire des livres, réaliser des chroniques télévisées… Personnage touche à tout, positif et fonceur, Philippe Croizon n’a de cesse de relever des défis. Le sport, il est tombé dedans dix ans après son accident. Une rencontre indispensable dans sa vie, qui l’a aidé à se reconstruire et à s’accepter avec son handicap.


À la nage entre les 5 continents ou au volant sur le rallye Dakar, un homme tout terrain !

Qui êtes-vous ?
Je suis une personne handicapée qui a eu énormément de chance dans mon parcours de vie : ma famille et mes amis m’ont toujours épaulé. Le « je » n’existe pas. On avance ensemble et on réussit des objectifs où 99 % des gens disent que ce n’est pas possible, qu’il faut arrêter de rêver. Je suis très impatient, alors lorsque j’ai une idée, il faut se mettre en action tout de suite. En ce moment par exemple, je prépare mon “one-man-show” avec Jérémy Ferrari. Après les conférences, j’enchaîne avec l’écriture du spectacle. Il faut que ça tourne, que ça avance. J’ai pris 20 000 volts, j’ai plein d’énergie et je n’arrive pas à la canaliser !

Pouvez-vous m’expliquer votre handicap ?
J’ai été électrocuté à l’âge de 26 ans, à cause d’une ligne électrique. Suite à ce choc électrique, j’ai été amputé des quatre membres. J’ai ensuite été hospitalisé pendant deux ans avant de pouvoir rentrer chez moi. Le retour à la maison a été très difficile. Je me suis renfermé sur moi-même pendant près de sept ans. Je suis entré dans une phase de dépression car je n’acceptais pas mon handicap. C’était une période très sombre où je pensais que tout m’était dû. Tout le monde devait m’écouter, sans pour autant que je prenne en compte la douleur de ceux qui m’entouraient. Je ne me rendais pas compte de l’implication et de la fatigue de mes aidants.

Quel est l’impact du handicap sur votre quotidien ?
Il est monstrueux et présent quotidiennement. Il y a, à cause de lui, ce que je ne peux plus faire, et il y a grâce à lui, ce que j’ai pu vivre, c’est-à-dire des choses dingues ! Je l’utilise dorénavant comme une force. Il m’ouvre des portes. Aujourd’hui je peux dire que c’est grâce au handicap que j’ai pu mener ces aventures et non à cause de lui. Il m’a non seulement permis de comprendre qu’on pouvait aller vers l’autre et demander un coup de main, mais il m’a surtout permis d’accepter mon nouveau schéma corporel et ma nouvelle vie. Le sport m’a transformé.

Comment ces défis vous ont changé ?
Je n’imaginais pas que j’allais avoir une vie aussi riche ! J’ai écrit des livres, tenu une chronique sur France 5, tourné dans un film avec Dubosc, conçu et animé des conférences… Cela m’a apporté un changement de vie total. C’est d’ailleurs pour ça que le sport est l’outil de résilience le plus important. Il faut que ce soit développé davantage.

Traverser la Manche, relier les 5 continents à la nage, établir un record de profondeur de plongée, participer au Rallye Dakar… Pourquoi vous lancer dans tous ces défis sportifs ?
Par envie ! Tout a commencé avec la traversée de la Manche. Quelques mois après mon accident, j’ai demandé à une infirmière d’allumer la télévision. Il y avait l’émission Thalassa, avec une jeune femme de 17 ans qui traversait la Manche. C’est la deuxième française à réussir la traversée depuis 1875. Je n’étais pas encore allé en centre de rééducation, je ne connaissais pas le dépassement de soi. Je pense qu’à ce momentlà j’ai été tellement attiré par les images que j’en ai oublié mon handicap. Je me suis dit : « Pourquoi pas moi ? ». Dix ans plus tard, je commençais les entraînements et deux ans après, je traversais la Manche. J’ai végété sept ans dans mon canapé. Je ne voulais pas y retourner !

J’ai pris 20 000 volts, j’ai plein d’energie et je n’arrive pas à la canaliser.”

Tout le monde retient cette traversée, mais pour moi le plus important a été la période de deux années d’entraînement avec Valérie mon entraîneur, Arnaud et Jacques. Un jour, ils m’ont dit que je pouvais traverser le détroit de Gibraltar, alors j’ai pensé que l’on pouvait peutêtre rejoindre les continents à la nage… Et de fil en aiguille, nous l’avons fait. Un autre matin, ma femme Suzana m’a dit qu’elle aimerait bien repartir à l’aventure avec moi. Et c’est comme cela que nous avons eu l’idée du rallye Dakar !

Qu’est-ce que le sport vous a apporté ?
Dans mon parcours de vie, il y a eu trois outils de résilience. Le premier est ma famille, mes amis et mes deux garçons. Le deuxième, l’humour et le troisième, c’est le sport.

Vous imaginiez-vous arriver là où vous en êtes aujourd’hui ?
Absolument pas, c’est ça qui est génial ! Il y a des choses qui se font et c’est vraiment super. Et pour celles qui ne se réalisent pas, je n’en suis pas malheureux pour autant. Je n’ai pas de plan de carrière. Je fais les choses parce que j’aime ça, tout simplement.

Votre académie accueille des jeunes nageurs et fête ses deux ans cette année. Pourquoi avoir choisi « Le sport autrement » comme slogan ?
Je n’aime pas le mot « handicap ». Il a tellement été maltraité, qu’aujourd’hui encore “handicap” suggère “non performant”. Même si la société est en pleine évolution sur ce sujet, notamment depuis 2012, grâce aux Jeux de Londres, la signification de ce terme a encore très peu changé. Lors de mes conférences, je ne dis pas que je suis une personne handicapée mais une personne « capable autrement », c’est-à-dire qu’on fait la même chose que tout le monde, mais avec des systèmes D, des aides technologiques…

Qu’attendez-vous de Paris 2024 ?
J’espère que ce sera une très belle fête. Pour cela, il faut préparer le public mais on est en retard. France TV a fait un travail extraordinaire, 100 heures de direct durant les Jeux Paralympiques de Rio en 2016, c’est merveilleux, mais il reste tout de même un gros travail à faire auprès des médias pour qu’ils parlent du handisport et du sport adapté. Quand on voit le cataclysme qu’il y a eu à Londres au niveau du changement de regard, j’espère que ce sera la même chose pour Paris. // Propos recueillis par A.Guyon

Plus d’infos : www.philippecroizon.com

Bio & Repères


© C.Audebert

PHILIPPE CROIZON

Parcours

  • 2019 : écriture d’un “one-man-show” avec Jérémy Ferrari
  • 2017 : sortie du livre « Pas de bras, pas de chocolat ! »
  • 2017 : participation au Rallye Dakar
  • 2014 : sortie du livre « Plus fort la vie »
  • 2013 : record de profondeur de plongée pour un amputé des quatre membres. Premier chroniqueur handicapé à la télévision pour le Magazine de la Santé sur France 5 avec « La chronique du handicap » (jusqu’en 2018)
  • 2012 : sortie du livre « J’ai traversé la Manche ». Chroniqueur aux Jeux Olympiques et Paralympiques de Londres pour France Info
  • Mai > Août 2012 : il relie les cinq continents à la nage
  • Septembre 2010 : traversée de la Manche à la nage
  • 2006 : sortie du livre « J’ai décidé de vivre »