Accessibilité et mobilité, l’ère des grandes avancées


© D.Echelard
Les athlètes Pierre Fairbank, Clavel Kayitare, Nicolas Brignone et Mandy François-Élie, sur le parvis du Stade Charléty lors du Handisport Open Paris 2019

Priorité pour certains, cause nationale pour d’autres… Les effets d’annonce ne manquent pas lorsque l’on parle d’accessibilité et de mobilité. Pourtant, les grands discours et les promesses ne sont pas toujours suivis de faits concrets. Même si la tendance s’inverse, il y a encore du chemin à parcourir. Les lois, la médiatisation des Jeux Paralympiques et une prise de conscience générale plaident pour une accessibilité plus grande. Les Jeux de 2024 à Paris devraient s’inscrire comme un accélérateur conséquent pour faciliter l’accès à la pratique sportive au plus grand nombre. État des lieux.
Dossier réalisé par J. Soye

L’accessibilité universelle est un pari inaccessible. « Il y a autant de formes d’accessibilité que de types de handicaps », pose Bernard Verneau, adjoint au chef du bureau des équipements sportifs du Ministère des Sports à la retraite depuis fin août. Un déficient visuel n’a pas les mêmes attentes qu’un déficient auditif ou qu’une personne en situation de handicap moteur. « Il m’est, par exemple, plus facile de descendre trois marches que d’utiliser un plan incliné trop pentu », ajoute le vice-président délégué de la FFH (Fédération Française de Handisport), amputé fémoral à la suite d’un accident de moto en 1976. Audrey Sovignet, fondatrice de l’entreprise I Wheel Share milite pour la libre circulation des données. Sa plateforme, opérationnelle sur Facebook Messenger, « rassemble des informations concernant l’accessibilité sur toute la France et sur tous les aspects de la vie. On apporte des réponses automatisées en fonction du handicap de notre utilisateur, de son besoin et de sa position géographique. Tout ça en moins de six secondes. » Un défi pour que chacun vive un moment sans devoir l’anticiper. À ce jour, 1 800 lieux de pratiques sportives et 800 clubs, tous affiliés à la FFH y sont recencés. L’accessibilité doit être un combat fédérateur, où chaque acteur apporte sa pierre à l’édifice. Où l’expertise des uns et des autres est reconnue et valorisée. Où les actions associatives et entrepreunariales sont complémentaires. « Partager permet d’actualiser les informations et d’avertir d’éventuels changements. »

Une évolution positive

Rendre accessibles les sites sportifs est une nécessité. « Avec Paris 2024, on a une ambition immense pour les Jeux Paralympiques », assure Tony Estanguet, président du Comité d’organisation des JOP de Paris 2024. « Ces Jeux vont faire un bien énorme à ce pays, notamment pour favoriser la pratique sportive des personnes en situation de handicap. L’héritage ne porte pas uniquement sur les infrastructures. Il s’agit d’embarquer tout un écosystème. » L’accueil des Jeux Paralympiques à Paris peut et doit servir la cause de manière bien plus marquante que les textes de loi. La loi de 1975, révisée en 2005, a impulsé un élan, amplifié par les Agendas d’Accessibilité Programmée. « Grâce à cela, 99 % des nouveaux Établissements sportifs Recevant du Public (ERP) sont totalement accessibles », affirme encore Bernard Verneau. Ronan Pallier, athlète déficient visuel habitant en région nantaise en convient. « Je m’entraîne au Stadium Pierre Quinon construit en 2011 et livré en 2013. Tout est accessible, pour les sportifs comme pour le public. » Rampes d’accès pour entrer dans la salle, signalétique, bandes podotactiles pour les déficients visuels, bornes sonores, ascenseur pour s’installer en tribunes… Situé non loin des facultés de Nantes, le gymnase, théâtre des championnats de France handisport d’athlétisme en 2019, est facile d’accès en transports en commun. « J’habite dans l’agglomération nantaise, à une douzaine de kilomètres de la salle. Mais je me rends toujours à l’entraînement via le tram et le bus », reprend l’athlète nantais, également chargé de mission à l’accessibilité pour la Semitan, la Société d’Économie Mixte de Transport de l’Agglomération Nantaise. « C’est plus facile aujourd’hui. Depuis 2001, les planchers bas dans les bus sont arrivés. Tout s’est accéléré depuis 2015. Actuellement, 75 % du réseau est accessible et répond aux normes pour l’ensemble des personnes en situation de handicap. Parmi les 25 % restants, certains points sont accessibles mais pas aux normes et d’autres sont clairement inaccessibles. » À Montpellier, le pongiste Stéphane Molliens, tétraplégique à la suite d’un accident de circulation, constate les mêmes progrès d’accessibilité pour les transports en commun. La SNCF avance aussi : « Depuis 2015, nous pensons “accessibilité” depuis l’arrivée dans la gare jusqu’à l’accès au train. Chaque réaménagement de gares induit des travaux sur 20 postes différents (réhaussement des quais, éclairage, passerelle au-dessus des voies, mise aux normes des guichets, ouvertures automatisées des portes centrales, bandes podotactiles, signalétique…) », énumère Carole Guéchi, directrice de l’accessibilité du groupe. « Aménager une gare représente 18 mois de travaux. » La SNCF forme aussi des agents en permanence, pour répondre aux besoins du plus grand nombre. « Je voyage beaucoup pour me rendre sur les lieux de compétitions et de stages, le train est devenu pratique », atteste Stéphane Molliens. Carole Guéchi ne s’en cache pas : « L’accessibilité est un atout commercial. Tous les dispositifs d’ordre national sont déclinés dans les régions. » Les contraintes financières et/ou techniques sont pourtant bien plus fortes sur l’existant. « Il sera très difficile et même impossible de travailler sur l’accessibilité des métros à Paris », prévient Bernard Verneau, également chef de mission lors des Jeux Paralympiques de Barcelone 92, Lillehammer 94 et Atlanta 96. « Il va falloir oeuvrer sur les axes routiers. L’accessibilité ne coûte pas beaucoup plus cher si elle est pensée dès le départ. » Malgré ces différents problèmes, la dynamique est bonne : « il y a une évolution des mentalités et une prise de conscience générale », estime Annette Masson, présidente et fondatrice de l’association Tourisme et Handicap. Son objectif est de sensibiliser les professionnels du tourisme pour qu’ils rendent leurs sites accessibles, mais aussi d’aider à trouver les fonds pour acquérir le matériel adéquat. Les acteurs prônant l’accessibilité se heurtent encore à des obstacles dépassant le plan économique. Certains arrêtés pour l’application des décrets de la loi de 1975 ne sont toujours pas pris. La volonté affichée par l’État existe mais elle n’est pas assez tenace et s’applique donc de manière trop parcimonieuse. « Les travaux d’accessibilité et de mises aux normes restent encore trop souvent liés à un cas particulier », observe Bernard Verneau. Les freins peuvent aussi venir des personnes en situation de handicap. « Il faut encore lutter contre les autocensures ou les freins d’ordre médical », cite Marie-Amélie Le Fur, athlète de haut niveau et présidente du Comité Paralympique et Sportif Français.

Faciliter la vie des personnes en situation de handicap, comme celle de parents avec des poussettes…”

Former, informer, circuler

La formation est un élément majeur en matière d’accessibilité. « Parfois les aménagements sont effectués pour accéder aux aires de jeu, mais pas aux vestiaires ni aux WC », détaille Ronan Pallier. « Il est alors important de sensibiliser le personnel du site pour qu’il pense simplement à proposer de l’aide… » Une réflexion majeure parce que « si un maillon de la chaîne est défectueux ou fait défaut, il n’y a plus d’accessibilité du tout », s’accordent à dire les différents acteurs. Chaque année, le CNDS (Centre National pour le Développement du Sport), aujourd’hui remplacé par l’Agence Nationale du Sport (ANS), dispose d’une enveloppe de 2 millions d’euros, alloués aux collectivités voulant aménager des équipements sportifs inaccessibles. Mais cette somme n’est jamais utilisée entièrement. « Certaines collectivités renoncent à monter les dossiers, d’autres ne sont pas bien informées… », regrette Bernard Verneau. Les sites accessibles doivent aussi le faire savoir afin d’être identifiés. « De nombreuses personnes en situation de handicap ne pratiquent aucune activité parce qu’elles ne savent pas que certains lieux proches de chez elles sont accessibles », souligne Annette Masson. Informer est primordial. La technologie participe aussi à l’accessibilité. « Le télépéage facilite les déplacements en voiture », explique Stéphane Molliens. Comme l’aménagement des derniers TGV qui permettent aux déficients visuels, à partir de leur télécommande universelle, de savoir devant quelle voiture ils se trouvent… Le pongiste se réjouit aussi de la roue motrice électrique qu’il enclenche sur son fauteuil roulant manuel. Elle lui offre davantage d’autonomie pour ses courts déplacements. Même si la débrouille demeure un ressort efficace, il est important de pouvoir contrôler et sanctionner, si besoin. « Il faut un barème de sanctions significatif et faire des exemples », réclame Annette Masson. L’accessibilité, actuellement priorité individuelle, doit devenir priorité collective. « Il est plus facile de justifier des budgets lorsque les travaux répondent aux besoins de 50 % de la clientèle. » Les aménagements facilitent la vie des personnes en situation de handicap… Comme celle de parents ayant des enfants en poussette, des femmes enceintes, des seniors ou encore des voyageurs chargés. Adopter cette logique, c’est prôner l’accessibilité…


© D.Echelard

Déficience auditive

ACCEO, pour mieux s'entendre... 

Les personnes en situation de handicap sensoriel ont des problématiques spécifiques. Acceo s’adresse aux déficients auditifs en favorisant leur inclusion et leur autonomie. « Acceo permet aux personnes sourdes et malentendantes de téléphoner et/ou d’accéder à des services publics et privés », explique Stéphane Guiset, directeur des partenariats de l’entreprise. Cette solution rend accessible le numéro de téléphone d’entreprises et de collectivités aux déficients auditifs. La loi de 2017, sur le numérique, oblige les établissements faisant plus de 250 000 € de chiffre d’affaires à être accessibles, ce qui a accéléré le mouvement. « Aujourd’hui, 40 000 établissements sont accessibles (hôpitaux, banques, collectivités…). C’est mieux, mais il y a encore du chemin à parcourir », précise Stéphane Guiset. « On travaille avec des associations de personnes sourdes pour nous faire connaître. Avant, la plupart des solutions à destination de ce public étaient fondées par des personnes sourdes ou malentendantes. » www.acce-o.fr

Pratique


© D.Echelard
Audrey Sauvignet, fondatrice d’I Wheel Share

Sites & Applis

Un ensemble de sites et d’applications visent à communiquer sur les lieux et les acteurs de l’accessibilité. Sans être exhaustif, voici quelques bonnes adresses utiles.

  • Pour louer une voiture adaptée à un professionnel ou un particulier, pensez Wheeliz.com.
  • Une rampe, un fauteuil de mise à l’eau… Une solution alternative d’accessibilité sûre, Axsol.fr est là pour vous.
  • Vous voulez manger dans un restaurant accessible, faire vos courses ? Un clic sur jaccede.com et c’est parti.
  • Vous voulez vous évadez ? Trouvez un séjour entièrement adapté grâce à yoola.fr
  • Handicap.fr, c’est le site idoine pour trouver un job et suivre les actualités sur le thème du handicap.
  • Votre handicap ne saute pas aux yeux, pourtant, il peut nécessiter un coup de main, n’hésitez plus, faites appel à l’application Lpliz.com
  • Un itinéraire piéton adapté, ne cherchez plus, rendez-vous sur l’application Streetco, le GPS piéton collaboratif adapté aux PMR.
  • Et bien sûr, n’oubliez pas d’aller découvrir les services proposés par Acceo et I Wheel Share mentionnés dans le dossier.

ENTRETIEN AVEC MARC FLEURET

Marc Fleuret, 51 ans, a été entraîneur national de judo handisport jusqu’en 2000 et Directeur sportif de la discipline, pour la FFH(Fédération Française de Handisport), jusqu’en 2012. En 2014, il a été élu adjoint au sport de la ville de Châteauroux, dans l’Indre, où l’accessibilité est une priorité.

Marc, depuis quand l’accessibilité est une priorité de la ville de Châteauroux ?
Quand je suis arrivé, il y avait déjà des choses de faites mais ça manquait de coordination. On a identifié des sportifs en devenir sur la ville et on a ciblé leurs difficultés pour l’accès à la pratique. Cette culture était présente sur le territoire. Cela facilite les processus.

La taille de la ville favorise-t-elle l’application de cette politique volontariste ?
Oui. Sur une ville moyenne comme Châteauroux, les liens se tissent plus vite. Je suis un élu très présent sur le terrain et bien identifié comme ancien cadre handisport, donc on vient me voir assez naturellement pour répondre à des problématiques en termes de mobilité et d’accessibilité. Et nous trouvons des solutions assez facilement. L’un des usagers du club d’aéromodélisme, en fauteuil roulant, est obligé de sortir de son véhicule pour ouvrir la grille d’accès au site. Nous sommes donc en train d’automatiser le portail d’accès.

Quels sont les secrets d’une ville accessible ?
Ça part souvent d’une personne qui passe le virus à tout le monde. C’est une histoire d’Homme avec un grand H. Nos transports en commun, gratuits, sont accessibles aux personnes en fauteuil roulant depuis 2017. Le maire est ultra sensible et il y a une bonne collaboration, indispensable, entre les adjoints aux travaux, au handicap et aux sports. Aujourd’hui, c’est automatique. Chaque nouvelle installation est accessible.

Comment évoluent les choses ?
De manière très positive. Le frein éventuel est d’ordre financier, notamment pour rendre accessibles les anciens équipements. C’est moins coûteux et plus facile de le faire dès le début. Mais on pense aussi à l’accessibilité aux abords de l’équipement. Parfois accéder à l’équipement est un parcours du combattant. Quand on en crée un nouveau, on regarde l’arrêt de bus le plus proche et on regarde l’accessibilité.

Pourquoi, selon vous, ces démarches sontelles mieux acceptées du grand public ?
Le grand public s’intéresse davantage au monde du handicap, à la pratique handisport et trouve logique de permettre aux PMR de pratiquer. Les sportifs de haut niveau sont des moteurs pour la masse. Ils ont des visages familiers. On favorise aussi les liens entre athlètes valides et handisport. Chacun comprend ainsi mieux l’intérêt d’aménager les lieux de pratique. Pour les communes, c’est aussi un beau vecteur de communication sur le vivreensemble.

Sans oublier l’accès pour les spectateurs…
On a équipé le stade de foot de Châteauroux (Ligue 2) d’un ascenseur pour permettre aux personnes en situation de handicap de s’installer en tribunes. On a aussi un système audio qui permet au public non-voyant de suivre le match sur France Bleu en étant au stade. // Propos recueillis par J. Soyer


© Ville de Chateauroux