Santé : escarre, une surveillance permanente

L’escarre est une complication cutanée qui touche un très grand nombre de personnes en situation de handicap. La prévention de ces lésions causées par des compressions de la peau et des tissus, des frottements, des frictions et des cisaillements est au moins aussi importante que leur prise en charge. Matthieu Gahier *, membre de la commission médicale de la Fédération Française Handisport, détaille les différentes techniques de prévention. Il véhicule un premier message : « Il est toujours plus simple de prévenir que de guérir. »

L’escarre est une lésion de la peau et des tissus sous-cutanés causée par une pression excessive et/ou prolongée au regard des reliefs osseux. « La peau est un peu comme un jardin qui a besoin d’être arrosé », image Matthieu Gahier. « La peau est l’herbe de la pelouse et le tuyau d’arrosage représente les vaisseaux, les artères et les petits capillaires qui viennent vasculariser la peau. L’artère est comme un tuyau d’arrosage, c’est assez souple. Si on appuie sur une artère, on l’empêche d’apporter le sang aux tissus, un peu comme on empêcherait un tuyau d’arrosage d’arroser le jardin, la zone n’est donc plus irriguée. Elle va donc souffrir voire mourir. La constitution d’une escarre relève du même principe. » L’escarre peut être la conséquence d’un appui, même de faible durée, ou déclenché par un choc ponctuel.

Prévenir les escarres, un enjeu médical
Tout le monde est susceptible de faire une escarre. Les blessés médullaires le sont davantage encore. « Huit patients sur dix présentant une lésion de la moelle épinière sont concernés par une escarre au cours de la vie », situe le médecin. « Les escarres sont une des deux principales causes de ré-hospitalisation de ces patients. »
L’escarre peut aussi s’inviter chez des personnes amputées, au niveau de leur moignon (dont le volume peut varier) ou chez les personnes présentant des paralysies cérébrales. Aux Jeux Paralympiques de Londres 2012, la complication cutanée fut le troisième type de complication. « Une grande partie du public handisport présente des pathologies neurologiques avec une atteinte sensitive », développe Matthieu Gahier. « Les atteintes motrices ou avec des déformations articulaires, sont des situations où il y a également un risque accru d’escarres. »
La moindre rougeur qui ne disparaît pas sous la pression doit être tout de suite prise en considération. « C’est important car ce que l’on va voir à la surface de la peau est le reflet tardif de ce qui se joue en profondeur », martèle Matthieu Gahier. « Quand ça se voit sur la peau, c’est que c’est plus profond dessous. C’est un vrai signal d’alarme. »
Même si des traitements, avec une prise en charge bien codifiée et adaptée aux différents stades, ont fait leurs preuves, la prévention est déterminante : l’escarre est une contre-indication à la pratique et la récidive est très fréquente. « Cela implique que le patient est plus à risque parce que la peau où siège la cicatrice de l’escarre est une zone plus fragile », précise Matthieu Gahier. Une fois installée l’escarre peut mettre 12 à 18 mois pour cicatriser.

Des risques intrinsèques et extrinsèques
La première étape consiste à dépister tous les facteurs de risque. « Certains sont intrinsèques, liés à la personne, à son âge, à sa pathologie principale et à ses pathologies associées », détaille le médecin. « Une personne trop maigre, ou trop forte et à l’étroit dans son fauteuil présente des risques d’escarres. » La transpiration excessive provoquant la formation de zones de macération est également un déclencheur potentiel.
Certaines zones sont aussi plus ou moins exposées en fonction de la pathologie ou du handicap. Le siège, notamment les ischions (les deux reliefs osseux du bassin situés au niveau de chaque fesse) et le sacrum, sont particulièrement à surveiller avec une attention accrue pour les personnes en fauteuil roulant.
Il existe aussi des facteurs de risques extrinsèques. Quand la pression intervient via le phénomène de cisaillement de friction. « Normalement quand on apprend aux personnes à effectuer des transferts, on souligne l’importance d’éviter les frottements parce que les cisaillements abîment les capillaires », appuie Matthieu Gahier.
Surveiller l’état nutritionnel et l’état d’hydratation, optimiser l’installation dans le fauteuil, au lit, comme le positionnement d’une prothèse en veillant à éviter le moindre point d’appui sont des moyens de prévention simples et efficaces.

Diminuer les pressions
Il faut également régulièrement changer de position. Cela passe par un apprentissage des push-up (levée des fesses en poussant sur ses bras) et des transferts. « On apprend aussi au patient à surveiller les points d’appuis », ajoute-t-il. « Il doit devenir le docteur de son corps, et vérifier tous les matins, avec un miroir, s’il y a une rougeur ou non. » Si oui, la levée d’appui est la première action à entreprendre. « On peut tout mettre sur une escarre, sauf le patient », disait le chirurgien Raymond Vilain. « On peut mettre n’importe quel pansement, si on laisse le patient appuyer sur son escarre, ça ne marchera pas », traduit Matthieu Gahier. Il faut donc aussi créer des points d’appui sur des zones à faible risque. Pour diminuer les pressions, il convient d’augmenter la surface du corps avec le support sur lequel on est assis. Identifier les facteurs à risques, qu’ils soient liés à la personne, au matériel (surtout quand il change), à ses activités, aux conditions de pratiques comme à l’activité elle-même, intégrer les surveillances quotidiennes de son corps à ses habitudes de vie, modifier ses positionnements, lever l’appui dès l’apparition d’une rougeur, surveiller l’état nutritionnel, l’état d’hydratation, être attentif à ses appuis lors des voyages… Telles sont les recettes générales pour prévenir l’escarre. 

// Julien Soyer

Matthieu Gahier est médecin en médecine physique et de réadaptation, à orientation neurologique et médecin du sport. Médecin du Comité régional Handisport des Pays de la Loire et membre de la commission médicale de la FFH.

La rédaction remercie la commission médicale de la FFH pour sa collaboration. Contact : medical@handisport.org

En savoir plus

Une prise en charge codifiée en 5 stades

La prise en charge des escarres est bien codifiée et se décline en fonction de la gravité de l’escarre.

  • Le stade 0 : C’est la rougeur qui disparaît à la pression. C’est une première alerte. Il faut une vigilance personnelle accrue.
  • Le stade 1 : est une rougeur ne blanchissant pas à la pression, sur une zone d’appui constant. C’est déjà le reflet d’une souffrance tissulaire. Les patients le gèrent seul : surveillance quotidienne et levée d’appui.
  • Le stade 2 correspond à une plaie superficielle de la peau à type d’abrasion ou simple bulle. Il faut surveiller et avoir un recours médical rapide s’il n’y a pas d’amélioration rapide.
  • Le stade 3 se traduit par une plaie profonde touchant l’épiderme, le derme et les tissus sous cutanés.
  • Au stade 4, la plaie va jusqu’au muscle, voire jusqu’à l’os et aux viscères.

Pour les stades 3 et 4, le recours médical doit être entrepris sans hésitation (médecin traitant ou médecin du handicap)