Les sports sourds, un enjeu de développement


L’équipe de France de Football Sourds lors du match face à la Croatie, à Nanterre le 18 septembre 2021. © F.Pervillé

La Fédération Française Handisport organise et accompagne le développement de l’activité sportive pour les personnes sourdes et malentendantes depuis 2008. Ils représentent 15 % des licenciés handisport au printemps dernier. Les Deaflympics d’été 2022 (Jeux mondiaux pour les sourds et malentendants), où les équipes de France ont décroché seize médailles, dont trois titres, doivent dynamiser la pratique de ce public. Cela constitue un fort enjeu de développement pour le mouvement handisport dans les années à venir. Tour d’horizon des offres de pratique et des projets à venir. Dossier réalisé par J.Soyer

La photo fera date. Mardi 5 juillet dernier, la Ministre des Sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques, Amélie Oudéa-Castéra, a reçu les Français médaillés aux Deaflympics, organisés à Caxias do Sul, au Brésil du 1er au 15 mai. « Ce fut une première historique », se réjouit Sébastien Messager, cadre technique fédéral, référent de la pratique sportive pour les personnes sourdes et malentendantes à la Fédération Française Handisport. « Cette cérémonie a eu un impact considérable chez les sportifs et dans toute la communauté. » Marie Rivereau, médaillée d’or à la perche au Brésil, avec un saut à 4 mètres, synonyme de record du monde chez les femmes sourdes et aux Deaflympics, appuie : « On a besoin de cette reconnaissance pour faire avancer la pratique au sein du mouvement handisport. » Comme les Deaflympics ne sont pas une compétition de référence selon le ministère des sports, la FFH ne reçoit pas d’aides de l’ANS pour préparer cette épreuve. Toutefois, pour l’ensemble de la délégation une aide exceptionnelle du Ministère des Sports de 160 000 € a été attribuée, le budget global de la délégation s’élèvant à 440 000 €.

Un fort potentiel

Cette réception ministérielle a néanmoins démontré aux sportifs et encadrants déficients auditifs que la reconnaissance passe aussi par les performances. « Le haut niveau est capital à leurs yeux », explique Sébastien Messager. « Il leur a fallu accepter que les portes des épreuves internationales majeures ne sont pas ouvertes à tous ceux qui le souhaitent. Accepter de fixer des critères stricts de sélection, se plier à une rigueur similaire à celle appliquée aux Jeux Paralympiques. Il a fallu aller vers eux, comprendre leur culture et prouver l’intérêt qu’ils avaient à adopter cette logique de performance », ajoute-t-il. Si cela demande du temps et davantage de moyens financiers, le jeu en vaut la chandelle.

La France compte environ quatre millions de personnes sourdes ou malentendantes sur son territoire. 483 000 personnes sont déficientes auditives profondes ou sévères, 600 000 malentendants portent un appareil auditif (1). Pourtant, aujourd’hui, 2 800 d’entre elles sont licenciées à la FFH. Cela représente 15 % des adhérents de la FFH. Le potentiel de développement est très important. « On met beaucoup l’accent sur le handicap moteur depuis 20 ans, sans vraiment réussir à faire exploser les effectifs. Or, le public sourd fonctionne en réseau. Il est donc assez aisé de sensibiliser du monde rapidement. En plus, les grandes associations dédiées à ce public sont demandeuses de notre accompagnement dans le développement des activités sportives. » La FFH propose une dizaine de disciplines (tennis de table, natation, athlétisme, cyclisme, ski, randonnée, natation…), dont quelques-unes spécifiquement pour ce public : bowling, foot sourd, pétanque et sports de boules. « On pourrait aussi lancer de nouvelles disciplines comme les échecs, la course d’orientation et le curling », avance Didier Pressard, membre du Comité directeur fédéral et vice-président du Comité de Coordination des Sportifs Sourds de France depuis 2020.

"Apprendre les bases de la LSF permet de comprendre la philosophie des sportifs sourds.”

Intégrés depuis 2008 à la FFH, ces sportifs ont davantage avancé en parallèle du mouvement qu’avec celui-ci pendant près de dix ans. « Quand l’État nous a demandé de les intégrer, nous n’avons eu aucune aide et aucune préparation », pointe Sébastien Messager. « On ne connaissait pas la culture de cette communauté, différente de la nôtre. On ne savait pas signer. Or, pour s’entendre, il faut se comprendre. »

Un tournant pour le développement

La création du bureau des sports, en 2017, chargé d’accompagner les directeurs sportifs (notamment sur les dossiers administratifs), parmi lesquels ceux des sports dédiés aux déficients auditifs, a permis un premier lien. La nomination de Sébastien Messager, deux ans après, comme référent du sport sourd a renforcé celui-ci. « Cela a favorisé un vrai rapprochement », corrobore, Didier Pressard. « Cette année, on a senti beaucoup d’amélioration en termes de reconnaissance et d’intérêt de la FFH pour nos sportifs. » En fin d’année, les médaillés des Deaflympics seront intégrés sur les listes ministérielles de haut niveau élites. Encore une première qui va dans le bon sens. « Nous avons besoin d’aides et d’accompagnement », plaide Marie Rivereau. « J’ai 27 ans et je suis conseillère en Economie Sociale et Familiale. Actuellement au chômage, je devrais arrêter le sport de haut niveau si je ne me stabilise pas professionnellement et que je ne peux pas gagner ma vie. »

 Le programme “Ouïe au sport”

Formations et échanges entre pairs

Le développement de la pratique sportive des déficients auditifs à la FFH passe par de la formation. Des formations pour les personnes sourdes et malentendantes — afin de les aider à accroître leurs compétences — et pour les encadrants : cadres techniques, salariés de la FFH, entraîneurs, bénévoles désireux de se lancer dans ce projet. « Il faut dispenser des sensibilisations et des formations à la langue des signes », assure Benjamin Gaillien, délégué du Comité départemental de la Somme. « Il existe d’autres façons de communiquer (l’oralisation, la lecture labiale…), mais apprendre les bases de cette langue permet de comprendre leur philosophie et d’avoir quelques repères historiques importants. » Idéal pour gagner du temps et accueillir de la meilleure des manières ce public en quête d’activités sportives. Un projet de formation multisports dans les territoires est à l’étude. « Ils sont friands de journées multisports », souligne Sébastien Messager. « Ils aiment ces moments de convivialité, se retrouver entre eux. » Marie Rivereau a aussi apprécié cette première expérience aux Deaflympics pour cela. « C’était important d’échanger avec d’autres sportifs sourds pour avoir leur regard et leur expérience. Cela fait du bien de partager des ressentis communs, on se sent moins seule. »

“Ouïe au sport”, une stratégie de développement

Les Deaflympics ont généré de l’engouement chez les jeunes, notamment très sensibles à la médaille d’argent des footballeurs tricolores. Le programme “Ouïe au sport” est un cheminement national piloté par la FFH pour favoriser le développement. « C’est une démarche de communication (campagne d’affiches, mises en place de formations pour l’interne et l’externe et création d’un événement multisport sourd national) », décrypte Sébastien Messager. « On communique, on fait de l’information, on se positionne partout afin de provoquer, dans les territoires, des actions destinées à ce public. Elles seront la déclinaison du projet national. Aussi, on fait un peu d’international, parce que le haut niveau représente un vecteur de développement majeur pour les déficients auditifs. » Aujourd’hui, tout semble réuni pour dynamiser la pratique sportives des personnes sourdes et malentendantes. « On a bien tout analysé, on est dans les starting-blocks, on attend le starter », image Sébastien Messager. Outre les bonnes performances tricolores au Brésil en mai dernier, 2024 marquera les cent ans des Deaflympics. Les premiers ont eu lieu en 1924… à Paris, théâtre des prochains Jeux olympiques et paralympiques d’été, dans deux ans. Le trait d’union est tout trouvé.

1 : il existe un processus simple pour évaluer si une personne est éligible ou non : l’audiogramme. En France et à l’international, il est nécessaire d’avoir une perte minimale de 55 dB de la meilleure oreille pour pratiquer en compétition. En loisir, cette démarche n’est pas nécessaire mais conseillée.

Rencontre

Paméra Losange, une ambassadrice née

Pamera Losange, née sourde le 28 août 2002, a participé aux Deaflympics, pour la première fois, en mai dernier à Caxias do Sul. Sacrée sur 100 et 200 m, avec des records du monde et des Deaflympics à la clé, la sprinteuse de l’Entente Franconville (Val-d’Oise), 20 ans, a particulièrement apprécié cet univers. « Le responsable FFH de la délégation — Sébastien Messager — m’a permis d’être très bien accueillie et intégrée par tout le collectif », se réjouit Paméra, rapidement devenue la coqueluche des Bleus.« Il y avait une très grande solidarité dans l’équipe. Tout le monde s’encourageait, ça m’a donné des frissons. » Une dynamique collective déterminante pour la Guadeloupéenne qui a ainsi gagné en confiance et en sérénité. Sa médaille d’argent sur 200 m aux championnats de France élite valide, à Caen en juin dernier, en atteste. Elle a pris « une nouvelle dimension », dixit Pierre, son père, grâce à cette première aux Deaflympics. Au Brésil, elle a découvert “le départ visuel” qui lui a demandé une plus grande concentration. Paméra Losange, qui vise un BTS en prothèse dentaire et les Jeux Olympiques 2024, n’oublie pas pour autant les prochains Deaflympics en 2025, au Japon. « J’espère devenir l’ambassadrice du sport sourd en France. »

Zoom sur le ccssf au service du sport sourd

Le comité de coordination des sportifs sourds de France (CCSSF) a été créée en 2011.


Le CCSSF est présidé par Olivier Cordier (photo) qui est également président du Comité départemental handisport de Haut-Garonne. Il est également composé de Didier Pressard, vice-président et membre du Comité directeur fédéral, Arnaud Repellin (secrétaire), Inès Moudnib (secrétaire adjointe) et Olivier Corjon. Le CCSSF a pour principale mission de gérer les relations internationales avec l’instance internationale du sport pour les sourds, l’ICSD (International Commitee of Sports for the Deaf) et avec les autres organismes internationaux qui en sont membres. Au-delà des missions en lien avec les équipes de France sourds, dont les sportifs sont sélectionnés par la DTN de la FFH, ou les fédérations homologues concernées, le Comité gère les relations avec les dirigeants des associations ayant des licenciés déficients auditifs. Le CCSSF, de par son expertise, peut préconiser des plans d’actions pour développer la pratique et faciliter l’intégration des sportifs déficients auditifs.

Contacter le CCSSF : ccssf@handisport.org

Les outils

Le dico sport lsf

Réalisé en collaboration avec les sportifs sourds de France, ce document traduit en vidéos les termes utilisés par les entraîneurs et les sportifs du mouvement. L’outil regroupe déjà plus de 700 mots créés spécifiquement pour favoriser la communication avec les personnes sourdes et malentendantes sur les terrains de jeu. Douze disciplines sont référencées.

www.dicosports-lsf.org

Acceo

La FFH met à disposition des personnes sourdes et malentendantes le service Acceo pour contacter le siège fédéral, les comités ou une commission sportive. La solution multi-supports Acceo permet d’accéder à une retranscription instantanée de la parole en temps réel ou à une traduction en langue des signes française, que ce soit sur tablette, smartphone ou ordinateur…

www.acce-o.fr

Livret « les sportifs sourds et malentendants »

Réalisé par le Pôle Expertise – Formation, ce livret pédagogique présente les disciplines sportives pour les personnes sourdes et malentendantes. Il offre les premières clés spécifiques à la pratique régulière : règlements, classifications, compétitions, matériels, formations…

www.ressources.handisport.org

Entretien avec Benjamin Gaillien

Benjamin Gaillien

Benjamin Gaillien est délégué départemental du Comité Handisport de la Somme et responsable communication lors des Deaflympics en 2017 et 2022.

Depuis quand et pourquoi le CDH de la Somme s’est tourné vers le public sourd et malentendant ?
Je travaille dans la Somme depuis 2019 et je pratique la Langue des signes. Il y avait déjà des actions tournées vers ce public mais être signant facilite les choses. Néanmoins, je suis convaincu qu’il ne faut pas forcément connaître la langue des signes pour aller vers ce public. Il existe d’autres façons de communiquer.

Comment se matérialise les actions du Comité ?
On a un fort partenariat avec le CREDA APAJH Amiens, une structure qui suit la scolarité des enfants sourds dans la Somme. Les jeunes de cette structure viennent sur certaines actions du mouvement handisport spécifiques sourds ou non mais souvent multisports. L’idée est de définir avec les sportifs leur orientation sportive. Quand celle-ci est trouvée, on l’accompagne vers un club ou une structure affiliée à la FFH, ou non, pour en faire une activité pérenne. Actuellement, le public sourd représente 10 à 15 % de notre public.

Et en termes de manifestations ?
Toutes les manifestations du comité sont accessibles aux déficients auditifs. Cinq à sept participent régulièrement à nos stages jeunes et aux écoles de sport. Aussi, en août, trois personnes sourdes étaient de la session de char à voile. On a aussi l’Open Handisport Sourd. La deuxième édition, en juin dernier, a rassemblé une trentaine de participants, majoritairement des jeunes. Notre objectif est de les regrouper parce qu’ils sont demandeurs d’échanges entre pairs. C’est une journée multi-activités pendant laquelle nous nous appuyons beaucoup sur nos clubs afin qu’un premier lien se crée entre les pratiquants et les éducateurs.

Comment se définit l’accompagnement dans les clubs ?
Les contraintes d’accessibilité sont moindres avec le public sourd mais il y a quand même des bons réflexes à avoir : l’éducateur doit bien dispenser ses consignes face à la personne et privilégier la démonstration aux explications trop longues. L’objectif est que ce public puisse être accueilli dans n’importe quelles structures.

Quelles sont les difficultés pour aller vers ce public ?
Dans les territoires, les salariés connaissent pas ou peu la langue des signes. C’est donc un frein même si sur le terrain, on peut communiquer par le mime, la démonstration… Mais pour tout ce qui est mise en place et suivi d’un dossier de subventions, si on ne connaît pas la LSF, c’est plus compliqué. On doit passer par un interprète, qui est un service payant. Il peut donc y avoir un frein financier. Néanmoins, l’efficace partenariat avec Acceo, sur le territoire national, permet d’avoir une plateforme téléphonique et des interprètes à disposition.

Comment contourner les difficultés de communication ?
Par des formations dans les territoires. Il me semble primordial de connaître un minimum la langue des signes pour développer des actions vers ces publics. // Propos recueillis par Julien Soyer

Site du Comité Handisport de la Somme : www.handisport-somme.org