Nicolas Besombes – Jérôme Dupire : esport, la compétition accessible à tous

La fédération française handisport, accompagnée par son partenaire historique E.D.F. et l’association CapGame, proposent un nouveau service à ses licenciés : le esport. Activité mainstream incontournable, elle séduit plus de 1,3 millions de pratiquants réguliers et 7,3 millions de consommateurs en France. Véritable outil social, la F.F.H. et ses partenaires partagent le leitmotiv de rendre la pratique accessible à ses licenciés. Rencontre avec Jérôme Dupire, président de l’association CapGame et Nicolas Besombes, vice-président de l’association France Esports.

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Comment définiriez-vous l’esport pour celles et ceux qui ne connaissent pas ?
Nicolas Besombes : C’est la pratique compétitive du jeu vidéo. Comme pour le sport, on trouve une pratique loisir, amateur, pro et de spectacle. La pratique loisir, c’est jouer juste pour le fun sans se classer par rapport aux autres, amateur englobe les personnes qui font des compétitions mais qui n’en vivent pas et il y a le professionnel qui constitue l’élite de l’esport dont c’est le métier (moins de 200 joueurs en France). Enfin, on a une pratique un peu marginale : l’esport-spectacle. Il s’agit de joueurs qui pratiquent des jeux compétitifs dans le but de se mettre en scène sur les plateformes de streaming.
Jérôme Dupire : C’est l’équivalent de la compétition dans le sport traditionnel. On amène un contexte qui n’est plus simplement celui du plaisir de jeu, mais également compétitif, de performance.

Que répondre à celles et ceux qui opposent l’esport à l’activité sportive classique invitant à la mobilité ?
J–D. L’activité sportive, au sens que l’on entend habituellement, est un peu transposée. On ne va pas avoir la même activité physique certes, mais il y a une vraie sollicitation psychomotrice. On est en situation de perception de l’information, de son traitement, de la compréhension des enjeux, des partenaires, adversaires, de stratégies et d’objectifs à atteindre. On a les mêmes mécaniques cognitives et perceptives. Les valeurs du sport traditionnel se retrouvent dans le sport électronique au-delà de la pratique pure : la notion d’équipe, d’objectif commun, d’accomplissement, de performance, de respect de l’adversaire.
N–B. Ce qui détermine une activité physique, n’est pas l’énergie dépensée mais bien plus la performance motrice qu’on met afin d’être meilleur que son adversaire.

“Les valeurs du sport traditionnel se retrouvent dans le sport électronique, au-delà de la pratique pure.”

Quels sont les atouts majeurs de la pratique esportive ?
N–B. Comme pour le sport, chaque discipline va permettre de développer des compétences. Le jeu vidéo nécessite des compétences physiques, cognitives et sociales. Au niveau physique, on va pouvoir retrouver de la dextérité, récupérer des degrés de liberté sur certaines articulations ou du souffle pour certains.
J–D. Son côté dématérialisé et son côté adaptable. Le côté dématérialisé fait que c’est un objet avec une plasticité importante. On n’est pas contraint par un terrain, on peut être chez soi, transporter un ordinateur ou une console facilement. Le côté multijoueur permet une sociabilisation à moindre coût et à moindre effort.

Nous avons une représentation du jeu vidéo un peu caricaturale au niveau de ses pratiquants, que l’on imagine forcément jeunes. Qu’en est-il ?
N–B. On retrouve le plus de joueurs parmi la génération Y ou Z, les 12-35 ans. Après, tout le monde peut jouer, ce ne sera simplement pas les mêmes jeux, les mêmes usages, les mêmes modalités de pratique.
J–D. C’est un a priori qu’il faut aujourd’hui dépasser.

Le public en situation de handicap a-t-il toute sa place dans l’esport ?
N–B. Oui, mais ils sont confrontés à des obstacles, car tous les jeux ne sont pas adaptés.
J–D. Il est illusoire de croire que nous allons rendre un esport accessible ou inclusif sans besoin d’un travail en amont sur le jeu vidéo. Le premier travail porte évidemment sur son accessibilité, puis on s’intéressera aux autres questions, comme celle de l’inclusion. Il faut que les personnes en situation de handicap soient convaincues que leurs différences en termes de capacités ne sont pas un frein à la pratique du jeu vidéo.

Quels intérêts pour une personne en situation de handicap que de s’adonner à l’esport ?
J–D. Ne pas être exclue de cette dynamique culturelle majeure. Les budgets mondiaux des jeux vidéo ont dépassé ceux du cinéma. Tout le monde joue, que ce soit sur téléphone, PC ou console. Y avoir accès, c’est avoir accès à des communautés de joueurs, à des expériences communes avec son entourage, sa famille, ses amis, élargir son cercle social, à quoi s’ajoutent tous les bénéfices du sport traditionnel retrouvés dans l’esport.

Comment rendre les jeux plus accessibles ?
N–B. Il y a d’abord l’action menée par CapGame auprès des créateurs de jeux vidéos. Dès la conception, l’association aide le créateur à optimiser l’accessibilité, par exemple avec des niveaux de difficulté simplifiés ou avec des vitesses de jeux différentes, les possibilités d’adaptations sont nombreuses. Il y a aussi des initiatives pour adapter le matériel, notamment pour rendre les manettes plus accessibles en les personnalisant en fonction du handicap. Nous sensibilisons aussi les organisateurs d’événements à travers des guides pour favoriser l’inclusion et la diversité (rampes d’accès, places de parking P.M.R., gratuité pour les accompagnateurs). Enfin, avec CapGame on met en place des compétitions inclusives handi-valides.

Comment sont accueillis ces tournois inclusifs par le public ?
N–B. Les initiatives sont appréciées, mais nous sommes sur une pratique en marge, plus sur de la découverte, de l’initiation. On est loin du haut niveau. On sensibilise le grand public, nos organisateurs et les équipes à prendre en considération cette possibilité de compétitions inclusives en montrant qu’il est possible d’en faire un outil social. Entre la première édition de la Paris games week 2018 et la seconde en 2019, on a triplé le nombre de compétiteurs en situation de handicap.

Quelles adaptations existent ou doivent exister dans la conception des jeux pour les proposer au plus grand nombre ?
J–D. On a un premier sujet : pour certains, le combo clavier-souris-manette. L’idée est de détourner ou fabriquer du matériel permettant de donner l’accès aux interactions du jeu telles qu’elles ont été conçues par les développeurs. Le deuxième sujet, c’est l’accessibilité du jeu. Comment le rendre accessible pour un joueur déficient visuel, par exemple. Aujourd’hui, nous n’avons pas de réponse. On se questionne sur le design : comment peut-il servir l’accessibilité ? Nous menons des expérimentations où l’on teste des propositions pour permettre à des joueurs en situation de handicap visuel de participer de manière équivalente.
N–B. On commence à avoir des adaptations, mais elles peuvent rester onéreuses. On observe également des obstacles qui ne sont pas liés à l’esport mais à notre société : l’accessibilité des lieux et des espaces. Les compétitions se passent parfois dans des espaces non accessibles, les organisateurs ne pensent pas forcément à faire de la traduction en langue des signes…

D’autres fédérations se sont également engagées dans l’esport, eu quoi la démarche de la F.F.H. est-elle novatrice ?
N–B. Les autres fédérations voient l’esport comme un outil marketing. Pour la F.F.H., il s’agit d’une approche plus globale. Au-delà d’être un outil marketing, l’esport peut avoir un réel impact social. Elle montre en quoi la pratique est inclusive, un produit éducatif ou encore un outil de détection.

// Propos recueillis par Angeline Guyon

Plus d’infos : esport.handisport.org

NOS INVITÉS

Jérôme Dupire
Président de l’association
CapGame

Nicolas Besombes
Vice-président de l’association
France Esports

CapGame

CapGame est une association née en 2013, suite au constat de ses fondateurs : des solutions techniques (logicielles ou matérielles) existaient, mais n’étaient pas connues par les joueurs en situation de handicap. Depuis 2017, l’association s’est réorganisée en 5 axes thématiques :

Solution : anime une veille technologique.
Testing : évalue les jeux grand public au niveau de leur accessibilité.
R&D : travaille sur les innovations.
Consulting : accompagne des professionnels du jeu vidéo et du médico-social.
Esport : dédié à toutes les questions d’une pratique esportive accessible et inclusive.
Plus d’infos : www.capgame.fr

France Esports​

France Esports est une association créée en avril 2016, portée par les pouvoirs publics. Le secrétariat d’état chargé au numérique avait besoin d’un interlocuteur principal pour toutes les questions qui concernaient l’esport sur le territoire français.

Ses missions sont de structurer de manière durable et responsable l’esport sur le territoire, tout en réunissant l’ensemble des acteurs de l’écosystème ou du secteur, des acteurs associatifs aux acteurs économiques. Cela va des joueurs, aux équipes en passant par les organisateurs d’événements et les éditeurs et créateurs de jeux. L’association est aujourd’hui l’interlocutrice principale des pouvoirs publics (ministères et collectivités territoriales). Aujourd’hui l’association donne tout son savoir-faire et son expertise en conseillant la fédération française handisport dans la pratique esportive handisport. Plus d’infos : www.france-esports.org