Ouvrir son oreille aux sourds


Handicap invisible, difficile à appréhender, communauté fermée, LSF trop peu enseignée… On a tout entendu à propos des sourds. À l’aube de 2017, la Fédération Française Handisport entre dans la dixième année anniversaire depuis l’intégration des sportifs sourds en son sein. Presque 10 ans plus tard, où en sommes-nous ?
Dossier réalisé par Marie Mainguy.

Retour sur les faits, le 26 avril 2008, lors de son assemblée générale, la Fédération Sportive des Sourds de France (FSSF) vote sa propre dissolution. Celle-ci était nécessaire pour permettre l’intégration de la FSSF au sein de la Fédération Française Handisport (FFH).


Brice Allain, Directeur Sportif de la commission foot sourds à la FFH. Ci-dessous, la Marseillaise en LSF lors de l’Euro Volley Sourds Paris 2015.

À l’époque, Gérard Masson, Président de la FFH, réagit : « Je souhaite la bienvenue aux nouveaux venus et je suis heureux de l’agrandissement de la famille Handisport ». Avant 2008, les sportifs sourds qui souhaitaient faire des compétitions devaient déjà souscrire une licence auprès d’Handisport, cependant, une fois l’intégration officielle effectuée, le nombre de licenciés au sein de la FF Handisport explose : 22 372 contre 17 678 pour la saison 2006-2007, même constat du côté des clubs et sections affiliés qui passent de 801 à 981 pour la saison 2007-2008. Par ailleurs, l’arrivée des sportifs sourds ajoute sept disciplines au panel des 48 activités sportives proposées alors par Handisport. Il existe désormais cinq sports spécifiques pour les sourds : football, bowling, pétanque et sports de boules, badminton et volley-ball.

Les prémices

Des premiers temps de vie commune à aujourd’hui, presque dix ans ont passé. Brice Allain, Directeur Technique du foot sourds à la FSSF de 2004 à 2008, depuis Directeur Sportif de la commission foot sourds à la FFH se souvient : « À l’époque, à la FSSF, nous avions un budget très maigre, c’était difficile pour les compétitions à l’international. Quand nous avons intégré la FFH, pour moi, c’était plus professionnel, carré, au niveau du budget, cela n’avait rien à voir. J’ai pu faire progresser l’Équipe de France masculine, avoir plus de licenciés, développer une équipe féminine… Ce fut une vraie chance. En 2008, nous étions 1 700 licenciés sourds pour le foot, là nous atteignons désormais les 2 300 licenciés environ. »

Des sourds sous représentés parmiles dirigeants

Pour les sourds, utiliser le terme de communauté n’est pas usurpé. Communauté soudée, parfois militante, avec une histoire longue et forte, c’est un petit monde qui s’est ouvert il y a une décennie à peine, et pour qui, en toute logique, se mélanger, s’intégrer prend du temps. Neuf années après l’intégration, les sourds peinent encore à intégrer les instances dirigeantes. Les bureaux administratifs, la DTN et le comité directeur de la FFH restent largement majoritaires en personnes entendantes. En effet, parmi les vingt membres du comité directeur, seul Jean-François Labes est sourd. Ce déficit en personnes sourdes au sein du comité directeur a des conséquences, souvent, l’information n’arrive pas, ou partiellement, ou alors parfois de façon déformée auprès des sourds. D’une histoire longue de près d’un siècle, plus que celle de la Fédération Handisport, comment se positionne la nouvelle génération ? Malheureusement, à l’heure actuelle, la relève manque encore à l’appel, en particulier chez les dirigeants. Les sourds n’ont pas encore investis les différentes strates de l’organisation fédérale. Et pourtant ce n’est pas l’envie qui manque. Cependant, on peut se douter que les difficultés de communication ne facilitent pas les choses.

"La surdité est est un handicap invisible, difficile à intégrer par les entendants."

La barrière de la langue

Pour Arnaud Repellin, sourd de naissance qui travaille au comité Handisport de la Drôme : « L’intégration à la FFH s’est faite sans trop de difficultés car j’arrive à me faire comprendre mais il m’est plus compliqué de comprendre quand plusieurs personnes parlent en oubliant que je n’entends pas. La surdité est un handicap invisible, difficile à intégrer par les entendants. Mais, petit à petit, des changements s’effectuent, il y a plus d’attention autour de moi. » Certains sourds ont en effet la capacité de discuter avec des entendants avec un appareillage, en oralisant ou encore en lisant sur les lèvres, mais pour d’autres, ce n’est pas possible. Pour Brice Allain : « D’une manière générale, les sourds aiment voir que ce sont les sourds eux-mêmes qui gèrent les commissions, c’est ce qui fait la bonne entente. Par ailleurs, moi j’habite sur Paris, je viens régulièrement à la FFH, je rencontre les personnes, j’échange, c’est chaleureux, c’est une valeur ajoutée pour mon équipe. Mais pour d’autres, ceux qui ne viennent que trois ou quatre fois par an, le lien se crée plus difficilement ça peut être une difficulté, surtout quand il y a la barrière de la langue. » Si pour les entendants le manque de contact avec le siège complexifie parfois les relations, dans les rapports avec les personnes sourdes, la problématique est démultipliée. Une problématique qui trouve en partie sa solution avec la tenue, une fois par an des Journées Nationales Handisport. Florine Archambeaud, interprète en LSF appuie : « Je m’en rends particulièrement compte lors des JNH, les sourds viennent, ils sont contents, ils mettent des noms sur des visages, le forum des sourds est un vrai plus pour eux, ils sont de plus en plus nombreux chaque année. »

S’ouvrir et progresser ensemble

Depuis plus de deux ans et demi, une partie des salariés de la FFH, poursuit une formation à la LSF. Pour Brice Allain : « Les sourds ont été assez surpris. On se dit que les entendants font des efforts pour être mieux compris, pour mieux échanger avec nous ! Et nous avons la chance d’avoir un DTN qui signe bien, c’est super. » Et les résultats se font déjà sentir, ainsi, Aline Gaudry, responsable des licences et affiliations à la FFH s’occupe de l’accueil lors des assemblées générales nationales. Auparavant, elle était assistée d’un interprète en LSF pour réaliser l’accueil, désormais, grâce aux progrès qu’elle a réalisé durant sa formation, elle réalise cette mission en totale autonomie. Pour Florine Archambeaud : « C’est super de voir qu’on n’a plus besoin de nous ! » Par ailleurs, au quotidien, les relations sont également facilitées par l’adoption d’Acceo, société avec laquelle la FFH a signé une convention le 15 octobre 2014, pour une durée de trois ans. Cette société offre un service d’interprétariat par transcription instantanée de la parole ou visio-interprétation en langue des signes, et ce gratuitement, et en toute autonomie. C’est un vrai plus pour les pratiquants, les dirigeants, les comités et les clubs qui peuvent joindre le siège, poser leurs questions…

S’ouvrir et échanger

Florine Archambeaud, interprète en Langues des Signes Française depuis trois ans, gérante de la société Trilogue collabore depuis 2012 avec la Fédération Française Handisport : « Je travaille avec de nombreux services : la communication pour interviewer des sportifs sourds, le Comité régional Ile-de-France Handisport, le comité Handisport Pays-de-la Loire dans le cadre des Journées Nationales Handisport en 2015 et 2016, j’ai aussi participé à l’organisation du Championnat d’Europe de volley sourds (interprétariat des cérémonies d’ouverture et de clôture)…. » Pour côtoyer les sportifs sourds depuis quatre ans, et assister à de nombreux événements Handisport, Florine témoigne : « Quand je rencontre des régions, j’ai l’impression qu’il y a souvent beaucoup de malentendus. C’est souvent lié à une méconnaissance des règlements, notamment pour les sélections internationales. À mon sens, ce qui manque c’est une remise à zéro en LSF de tout ce qui concerne la FFH : règlements, statuts fédéraux…. » Reprendre les choses à la base pour éviter tous malentendus, une requête avancée par de nombreux sourds. Dans les faits, c’est une démarche déjà lancée par la DTN et le service communication, mais qui risque de prendre encore du temps. Mais pour se sentir partie prenante de la grande famille handisport, et de sa culture, les personnes sourdes doivent être informées de tout ce qui s’y passe, et pas seulement de l’information les concernant. De l’actualité généraliste, qui aborde la vie fédérale, mais traduite en LSF. Pour Florine Archambeaud : « Actuellement les sourds ne sont pas encore vraiment dans la famille, mais des cousins éloignés. »

Construire des ponts

De la communication certes, mais pas seulement ! De nombreuses initiatives au niveau national mais aussi régional sont en cours afin de faciliter l’intégration et le développement à tous les niveaux : développement, jeunes, compétition… Pour Arnaud Repellin : « Des avancées ont été faites mais il reste encore à faire. Aujourd’hui, il manque encore de structure entre associations sourdes et Handisport. Aujourd’hui encore, suivant le degré de surdité, l’intégration se fait difficilement, il est difficile de faire sa place. Soit on est orienté dans la culture sourde utilisant la LSF, ou bien dans l’oralisme, ou le Langage Parlé Complété (LPC). Les personnes oralisantes ou utilisant le LPC vont à Handisport ou chez les valides. Les mots aussi portent préjudice. Beaucoup de personnes visualisent le handicap uniquement sur le handicap physique des deux côtés aussi bien chez les entendants que chez les sourds (un aveugle et un amputé sont handicapés, un sourd non dans la mesure ou le handicap n’apparait pas).» Un handicap invisible, une communauté soudée, des liens qui se tissent petit à petit, l’histoire reste encore à écrire autour d’une même volonté, celle de mieux communiquer pour avancer tous ensemble. 
// M. Mainguy

À savoir

Les sourds représentent plus de 10 % des licenciés

Lors de la fin de la saison 2015-2016, la Fédération Française Handisport recensait 10 651 licenciés dans des clubs sourds dont 2 842 licenciés ayant déclarés un handicap auditif. Sur l’ensemble des licences Handisport (27 030), les sportifs sourds représentent 10,50 % du total. À ce jour, pour la saison 2016-2017 en cours, la FFH dénombre 7 690 licenciés dans des clubs sourds, dont 2 432 ayant déclaré un handicap auditif. Du côté des associations, à ce jour, 255 clubs accueillent des sportifs sourds dans toute la France.

Un nouvel outil

Le dictionnaire vidéo des signes du sport sourd

Un dictionnaire du sport sourds est en cours de réalisation. Sur une suggestion du monde sourds et du CCSSF dont l’idée a été reprise par la Direction Technique Nationale, et réalisé grâce aux interprètes de Trilogue, ce dictionnaire s’adresse à tous : entraîneurs, animateurs, bénévoles…

Son objectif : pallier le manque de vocabulaire sur le terrain en expliquant la technique sportive en LSF. Chaque fois, les interprètes ont réalisé des commissions par sport, les responsables des disciplines sont venus avec leurs mots puis un choix collégial a dû être réalisé entre les sourds et les interprètes. Parfois, dans certaines disciplines, il existait plusieurs terme pour une seule idée, il a donc fallu arbitrer. Parfois, à l’inverse, il a fallu inventer des signes qui n’existaient pas encore, et ce, grâce à l’expertise linguistique des interprètes.

Au total, ce sont 400 nouveaux signes qui seront mis en ligne prochainement sur handisport.org. Ils concernent dans un premier temps les sports concernés par les Deaflympics. À terme, d’autres sports seront mis en ligne, pour un total qui devrait atteindre les 800 signes.

 

Entretien avec Grégoire Andrès

Référent régional au sein de la commission pour les sourds au Comité Régional Ile-de-France Handisport (CRIFH) depuis dix ans, Grégoire est accompagné dans sa mission par Michel Carre, Michel Chaumard et Xavier Benhert. Par ailleurs, le CRIFH a embauché il y a déjà cinq ans, Caroline Velu, Agent de développement en charge des sourds.

Côté chiffres, l’Ile-de-France comptait 541 licenciés sourds en 2015-2016, actuellement, en cours de saison 2016-2017, la région dénombre 484 licenciés sourds. Plus de la moitié d’entre eux pratique le foot à 11 (288), l’activité sportive la plus populaire après le ballon rond étant la pétanque (90 licenciés).

Quand avez-vous intégré le mouvement sportif sourd ? Quelles étaient vos missions ?
Tout d’abord, je peux dire que cela fait 46 ans que je suis bénévole dans le monde sportif. Mais au niveau fédéral, j’ai commencé en 2007, à l’époque à la FSSF, puis j’ai intégré la FFH en 2008, au moment de l’intégration. J’étais alors responsable de toutes les compétitions des sportifs sourds.

Comment avez-vous vécu l’intégration au sein de la FFH ?
Nous étions tous sourds à la FSSF, les échanges et la communication entre nous étaient aisés, mais le principal souci était le financier. Puis, le Ministère des Sports a décidé que nous allions intégrer la FFH, alors nous y sommes allés.

À ce jour, près de 10 ans après l’intégration des sportifs sourds au sein d’Handisport, quel bilan en tirez-vous ? Positif ? Négatif ?
Tout d’abord, l’organisation des compétitions se passe vraiment bien. Il y a beaucoup d’entraide, un vrai soutien financier, c’est un point positif. Le gros point négatif c’est la communication, il est parfois compliqué de se comprendre. En 2007, quand j’ai commencé, on avait proposé l’embauche de personnes sourdes au siège de la Fédération Française Handisport, cela n’a pas été fait pour le moment. Cela aurait pourtant été bien pour faciliter la communication ! Il y a aussi une pénurie de jeunes sportifs sourds, c’est un peu plus compliqué de les recruter. Le nombre de licenciés sourds est en baisse, et ce, particulièrement du côté des jeunes. Ces derniers sont de plus en plus intégrés dans des écoles en inclusion, du coup il est difficile de les recruter, c’est vraiment dommage. Pour ma part, j’organise très souvent des événements dans des instituts d’élèves sourds, nous essayons d’innover, de trouver des solutions !

Quelles améliorations seraient encore à apporter dans l’avenir ?
On passe beaucoup par l’écrit et c’est dommage. Quand il y a des choses importantes à communiquer comme des règlements, les sourds préfèrent la vidéo, ils comprennent de manière bien plus rapide quand on leur parle en LSF.